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LE FONDEMENT DE LA MORALE.

subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance qu’éprouverait tout homme à mal faire, même indépendamment des maximes de l’éducation. » — Comparez ce qu’il dit dans Émile, liv. IV, pp. 115-120 (éd. des Deux-Ponts), et entre autres, ce passage : « En effet, comment nous laissons-nous émouvoir à la pitié, si ce n’est en nous transportant hors de nous et en nous identifiant avec l’animal souffrant ; en quittant, pour ainsi dire, notre être pour prendre le sien ? Nous ne souffrons qu’autant que nous jugeons qu’il souffre ; ce n’est pas dans nous, c’est dans lui, que nous souffrons… Offrir au jeune homme des objets, sur lesquels puisse agir la force expansive de son cœur, qui le dilatent, qui l’étendent sur les autres êtres, qui le fassent partout se retrouver hors de lui ; écarter avec soin ceux qui le resserrent, le concentrent et tendent le ressort du moi humain, etc. »

Faute de philosophes de l’École, dont je puisse invoquer l’autorité, j’ajouterai encore ceci : que les Chinois admettent cinq vertus cardinales (Tschang), parmi lesquelles ils placent, au premier rang, la pitié (Sin). Les quatre autres sont : la justice, la politesse, la sagesse et la sincérité[1]. De même chez les Hindous, sur les tables commémoratives élevées en souvenir des souverains morts, nous voyons, parmi les vertus dont on les loue, en première ligne, la pitié envers les hommes et les animaux. À Athènes, la Pitié avait un autel en pleine Agora : Ἀθηναίοις δὲ ἐν τῇ ἀγορᾷ ἐστὶ Ἐλέου βωμός, ᾧ μάλιστα θεῶν, ἐς ἀνθρώπινον βίον καὶ μεταβολάς πραγμάτων ὀτι ὡφέλιμος, μόνοι τιμάς Ἑλλήνων νέμουσιν Ἀθηναῖοι. Παυσ., I, 17. (« À Athènes, sur l’Agora, s’élève un autel à la Pitié : entre toutes les divinités, les Athéniens, considérant de quel secours elle est aux hommes dans cette ville si sujette aux changements, lui ont, seuls de tous les Grecs, consacré un culte. ») Lucien aussi parle de cet autel dans le Timon

  1. Journal Asiatique, vol. IX, p. 62. Cf. Meng-Tseu, éditions Stanislas Julien, 1824, L. I, § 45 ; et le Meng-Tseu des Livres sacrés de l’Orient, par Pauthier, p. 281.