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CONFIRMATION DU FONDEMENT DE LA MORALE.

Ponts), il dit : « Il y a un autre principe que Hobbes n’a point aperçu et qui, ayant été donné à l’homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par une répugnance innée de voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l’homme la seule vertu naturelle, qu’ait été forcé de reconnaître le détracteur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, etc. » — P. 92 : « Mandeville a bien senti qu’avec toute leur morale les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison : mais il n’a pas vu que de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales qu’il veut disputer aux hommes. En effet, qu’est-ce que la générosité, la clémence, l’humanité, sinon la pitié appliquée aux faibles, aux coupables, ou à l’espèce humaine en général ? La bienveillance et l’amitié même sont, à le bien prendre, des productions d’une pitié constante, fixée sur un objet particulier : car désirer que quelqu’un ne souffre point, qu’est-ce autre chose que désirer qu’il soit heureux ?… La commisération sera d’autant plus énergique que l’animal spectateur s’identifiera plus complètement avec l’animal souffrant. — P. 94 : « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. C’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de lois, de mœurs et de vertus, avec cet avantage que nul ne sera tenté de désobéir à sa douce voix : c’est elle qui détournera tout sauvage robuste d’enlever à un faible enfant, ou à un vieillard infirme, sa subsistance acquise avec peine, si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs ; c’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : fais à autrui comme tu veux qu’on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle, bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente : fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. C’est, en un mot, dans ce sentiment naturel plutôt que dans des arguments