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qui expliquent la constitution définitive du système brahmanique des castes.

La prière brahma, dont nous avons déjà dit un mot, est une prière nouvelle, navyam ; la première religion védique ne la connut pas et son caractère mystique est le signe auquel on la reconnaît tout d’abord. Vasishtha, qui, nous venons de le dire, est censé l’avoir créée, s’y abîma : brahmâni sasrije vasishtha. On ne s’abîme que dans les choses qui abîment, et le mysticisme est de première force sur ce point. Le védisme était une religion franche et ouverte, à fleur de terre pour ainsi dire, comme celle à laquelle l’Iliade[1] conserve une éternelle fraîcheur et une jeunesse immortelle. C’était le culte des manifestations physiques et morales tant dans le cosmos que dans l’homme qui frappent le plus vivement l’imagination des peuples. Les mœurs religieuses des pasteurs védiques ignoraient la dévotion proprement dite ; le brahma devait y introduire cette pratique et fonder du coup la puissance du sacrifice extatique. Mais c’est une pratique corruptrice, un acte qui pervertit l’intelligence. Justement, et c’est ce qu’il fallait aux bons pères. Plus les princes et le peuple s’adonnaient aux pratiques diluantes des éjaculations, oraisons et sacrifices mystiques, moins ils devenaient aptes à remarquer quel redoutable instrumentum regni les hommes du brahma, les brâhmanes, confectionnaient avec le brahma. La vertu malfaisante du brahma était, comme nous l’avons dit, celle de l’incantation, et c’est en réalité sur ce fondement que s’est élevé le régime religieux des castes.

Armé du brahma, bien nommé[2], ses inventeurs commencèrent par établir un dieu nouveau et supérieur à tous les vieux dévas naturistes et héroïques, savoir le dieu Brahmâ et, comme divinité type, une entité purement abstraite, c’est-à-dire Brahman, qui « n’est appelé ni un être ni un non-être[3] ». Rien de plus utile pour le but à atteindre. Cette divinité neutre, sorte de numen, avait particulièrement pour but de balancer d’abord, puis d’absorber l’influence religieuse et, partant, sociale que les kshatras exerçaient par la science de l’Atman. Nous en avons déjà parlé un peu. Au moyen de la science de l’Atman, les barons terriens, qui se l’étaient transmise de père en fils[4], exerçaient sur les populations un ascendant qui gênait tout d’abord les Bhâratides et les gênait

  1. Celle de l’Odyssée est manifestement d’une autre époque. Les dieux s’y présentent sous des formes plus abstraites et perfectionnées ; la loi morale les gouverne, et c’est en conséquence qu’ils protègent les malheureux, les étrangers et surtout les hommes pieux. Pour ceux-ci, la vie à venir leur est assurée dans l’Élysée, que l’Iliade ne connaît pas, de même qu’il n’y a pas de place dans son système pour un type de vertu morale comme Pénélope.
  2. Le mot vient du radical vrih croître, et la définition du brahma ressort, on ne saurait mieux, de ce passage : « Hâté par le brahma, que ton corps (ô Indra) croisse puissamment : brahmajûtas tanvâ vavridhasya. » (R. V., VII, 19, 11 ; III, 973.)
  3. Param brahma na sat tan nâdncyate. (Bhag. G., XIII, 12.)
  4. Sarvadâ kshatriyaparamparayeyam vidyâ gatâ. (Brihadaranyakaupanishat, VI, 2, 8 ; p. 1041 ; Röer.)