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deva divin, udueyâr propriétaire, etc., etc.[1]. C’était donc une noble et fière démocratie que cette société védique ; pour la peindre au vif, quant au moral, on pourrait, je crois, y réussir en lui appliquant ces vers de Schiller qui commencent par Jeder freut sich seiner Stelle.

Combien de temps cet heureux état social dura-t-il ? Peut-être des siècles, mais pour le dire au juste, nous ne pouvons. L’esprit brahmanique qui a passé sur les hymnes y a mêlé et confondu tous les éléments chronologiques. C’est comme un terrain dont une convulsion tellurique aurait bouleversé et confondu le gisement naturel et où aucune couche n’est plus en sa place géologique. Ce qui est certain, c’est que l’économie de la société védique première commença à être menacée, et par conséquent troublée dès que, attirées par la fortune des clans établis depuis longtemps, d’autres tribus aryennes survinrent avec le dessein, il n’y a pas de doute, d’exiger leur place au soleil du Gange. Parmi ces nouveaux venus, les Tritsus, la gent bhâratide, bharata jana, furent sans conteste les plus redoutables. Ils apportaient avec eux la fatalité de l’Inde. Avides de domination et de butin comme les Francs, comme les Francs aussi les Bhâratides combattaient à la fois leurs congénères établis et les aborigènes, les Gaulois, je me trompe, les Dâsas-Nishâdas[2]. Les hymnes chantent les hauts faits de toute une série de rois tritsus : Vadhryaçvas, Divodâsa, Pijavana, Sudâs[3]. Ces Tritsus se distinguaient, nous l’avons déjà remarqué, par la blancheur de leur peau ; ils sont spécialement qualifiés de blancs, çvityancah[4] ; et, ce qui est plus important, leur caractère était si religieux qu’il en devenait sacerdotal et théocratique. Déjà l’épithète de bharata qu’on leur attribue, d’où leur nom de Bharatides, indique ce caractère. On peut en effet l’interpréter par « poète chantre ou poète sacré. » Vasishtha, qui est expressément qualifié de très noble Bhârata[5], les accompagnait en priant et en chantant. La légende dit la même chose de Viçvâmitra et d’autres. « Le chant de Viçvâmitra protège la gent bhâratide »[6] ; c’est Vasishtha qui est censé avoir composé pour le roi Sudâs la prière (le brahma) qui le rendit vainqueur sur dix tribus réunies[7]. Une prière aussi efficace et comparable à celle de Moïse mérite bien que nous nous y arrêtions un instant. Elle fait d’ailleurs partie des causes et éléments

  1. Vinson, les Castes du Sud de l’Inde, dans Rev. Orient. 1868 ; l, p. 120 sqq., 131.
  2. Répétons que les Nishadas et les Nishâdas, que les textes confondent souvent, ne sont pas identiques. Les premiers étaient les aborigènes proprement dits, les possesseurs primitifs du sol, les Insassen ; les autres, dont nous avons déjà parlé, étaient, comme le dit Manu (X, 48), une classe âryenne bâtarde, occupée à la pêche.
  3. R. V. I, 130, 7, 10 (II, 72, 75) ; VI, 61, 1 (III, 842) ; VII, 18, 4 sqq. (III, 959) ; ib. 19, 6 (III, 971) et al.
  4. Ibid. VII, 33, 1 (IV, 45) ; VIII, 46, 31 (IV, 653).
  5. Bharata rishabha. (Aitareya brâhmana, VII, 17 ; p. 183, Haug).
  6. Viçvâmitraya rakshati brahmedam bhâratan janam. (R. V., III, 53, 12 ; II, 930). Cf. Ib. VII, 18, 4 ; III, 959).
  7. Ib. VII, 18.