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Cependant on parle toujours encore d’une caste de kshatrias, et, doctrinalement, on n’a pas tort. C’est que, comme nous l’avons déjà dit, la genèse de la caste ayant été une fois faite et définie comme dogme, elle a passé comme révélation divine dans les livres canoniques et y est restée : ce qui est écrit est écrit.

Le Rig-Véda et le Mânavadharmaçâstra, ces deux bouts de l’échelle céleste de la çruti, reproduiront donc éternellement la formule panthéiste de la création du kshatriya, comme celle des autres castes[1], et cela suffit aux Indiens. Peu leur importe que l’origine divine du système ne soit plus même mentionnée dans les çâstras modernes, ni aussi dans les grihyasûtras, si anciens cependant pour le fond ; que les « codes domestiques » ne contiennent pas même le mot de caste, si ce n’est que par incident[2], et que le code de Yajnavalkya, qui date du ixe siècle, dise simplement : « Les castes (sont) les brahmas, les kshatriyas, les viç (et) les çûdras[3]. » Pourquoi, d’ailleurs, en ce qui concerne particulièrement les kshatriyas, aurait-on perpétuellement rappelé leur droit divin à l’existence comme caste, quand il était visible que trop souvent ils ne transmettaient pas à leurs descendants la vertu légale de leur état, la valeur guerrière ? La transmission héréditaire des qualités de l’ancêtre était, on le sait, formellement stipulée par la loi.

La disparition des kshatriyas paraît s’être faite par mésalliance surtout dans une foule de familles inférieures, bâtardes, dont Manu énumère déjà un nombre considérable[4], et il ne paraît pas qu’elle ait causé un vide sensible dans la société indienne. Les vaicyas et les çûdras étaient tout prêts à les remplacer, depuis surtout que, par suite des grandes invasions, à commencer par celle des Indo-Scythes, le peuple en masse avait été requis à prendre les armes pour défendre ses autels et ses foyers[5]. Et, de la sorte, l’antique favori d’Indra[6], ce descendant des anciens rois nationaux, auxquels la tradition védique assignait pour mère la grande déesse Aditi[7], le kshatra a fini par

  1. R. V., X, 90, 12. — Mânav., I, 31 ; cf. V, 96 ; VII, 4, 5.
  2. Dans le grihyasûtra de Pâraskara, le mot « castes » ne se trouve qu’une seule fois, et cela pour rappeler une disposition relative au mariage, suivant qu’il s’agit d’un brâhmane, d’un râjanga ou d’un vaiçya à marier. Voy. I, 4, 8 : varnân upûrvyena suivant l’ordre des castes.
  3. Brahmakshatriyavit çûdrâ varnâh. (Yajnav., I, 10). Il ne rapporte les castes ni aux membres de Brahmâ ni aux quatre âges, comme le fait Manu (I, 31, 86).
  4. Mânav., X, 22, 44. — D’après cela, les Drâvidens même seraient issus des kshatriyas, car un Dravida est nommé parmi les descendants des râjanyas (ou royaux) excommuniés : râjanyâd vrâtyât. Les Purânas prétendent que l’autorité des kshatras s’éclipsa dès le temps de Nanda, çûdra qui, au ive siècle av. J.-C., s’éleva, nous l’avons déjà dit, de chef de brigand à la dignité de roi de Pataliputra.
  5. V. Lassen, Ind. Alterth. II, 1130 ; 2e éd.
  6. R. Veda, VI, 61, 1 (III, 842). Le râjâ Divodâsa est victorieux des Dâsas, comme favori d’Indra.
  7. Surnommée à cause de cela râjaputrâ : pipartu no aditî râjapunnâ. (R. V., II, 27, 7 ; II, 547).