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buddhistes une partie du sol sur lequel se tenaient les novateurs, en insinuant que le sang du maître, la race du kshatra Çâkya, n’était pas de bon teint, qu’il était d’origine çûdraïque, venant, comme il était connu, d’une contrée située sur l’Indus inférieur[1] ; qu’il fallait cependant, dans l’intérêt de l’ordre social, si on tenait au kshatriya, l’autorité d’un vrai et véritable kshatra, un kshatra investi de sa mission par le kshatra par excellence, le redoutable Indra, qu’eux-mêmes, les buddhistes, reconnaissaient et respectaient comme dieu. Et ils montraient dans le Véda un passage où Indra dit : « Mon empire de kshatriya date de l’établissement du monde[2]. » « Le kshatriya remontait même plus haut qu’Indra, car, avant lui, Varuna, le dieu primordial, avait l’éclat du kshatra : kshatraçriyam[3]. »

Peut-être que ces arguments ne suffirent pas pour convaincre les buddhistes et les porter, pour faire honneur au kshatra Indra, à ne plus suivre le douteux kshatra qui leur enseignait le dédain des castes ; il est probable que l’argument ne fit pas grande impression sur les masses ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il chatouilla agréablement l’orgueil féodal des râjabandhus restés brahmaniques et qui, ainsi amadoués, ne refusèrent pas d’aider les brâhmanes à affaiblir, dans l’esprit de leurs sujets, le prestige de l’audacieux rajput de Kapilavastu. Pour cela il fallait surtout trouver un équivalent ; mais il faut croire que cela prit beaucoup trop de temps au gré des brâhmanes, et comme d’ailleurs ces prêtres avaient toujours gardé une dent contre les kshatriyas, à cause de leurs prétentions de suprématie religieuse et des luttes à main armée qui s’en étaient suivies, ils se décidèrent, après avoir tiré d’eux contre les buddhistes tous les services possibles, à s’en débarrasser comme d’auxiliaires suffisamment usés, et ils les congédièrent suivant les us et coutumes de la reconnaissance politique. « Le maure a fait son devoir, le maure peut s’en aller. » Et le kshatriya s’en est allé ; il a disparu dans la foule. Les Hindous disent : les kshatriyas se sont éteints[4]. Le brillant filleul d’Indra s’est fait, dit-on, coule[illisible] manœuvre[5].

  1. V. la tradition tibétaine dans the Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, II, 385, 1833.
  2. R. V., IV, 42, 1 ; III, 201. Cf. ib., VII, 86, 1 ; IV, 212. Le terme que nous rendons par l’établissement du monde, est dvitâ, que le commentateur explique par kshitisvargabhedena, par la séparation du ciel et de la terre, comme dans la genèse biblique, I, 7 : « Et Dieu sépara, ויבדל, les eaux qui sont sous le firmament d’avec les eaux qui se trouvent au-dessus ». Les deux parties séparées sont désignées par le mot collectif rodasi (V. R. V., I, 62, 7 ; I, 361) ; adhârayad rôdasi (Indra) a conservé Rodasî. La st. 5 montre, quand même la scolie ne porterait pas rodasi dyâvâprithivyau, que l’expression se rapporte à la terre, bhûmyâ, et au ciel divo, dont le synonyme est d’ailleurs yamaje ; jumeaux.
  3. Kadâ kshtraçriyan naram â Varunan karâmahe : Quand amènerons-nous le héros Varuna qui a l’éclat du Kshatra ? (R. V., I, 25, 5.)
  4. Graul, Reise in Ostindien, I, 61.
  5. Godineau, Études sur l’établissement de Karikal, p. 33 ; 1857.