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verselle, la bienveillance mutuelle et réciproque de tous les hommes dans la loi du Buddha et leur égalité finale dans le nirvâna, le buddhisme brisait et détruisait le système des castes en son principe même. Cela cependant n’aurait pas beaucoup inquiété et préoccupé les brâhmanes, mais celui qui prêchait la maitri et le nirvâna était un kshatriya de haut lignage et trouvait faveur et appui auprès des kshatriyas. À la vérité, de tout temps les kshatriyas s’étaient mêlés de religion ou de philosophie religieuse, ainsi qu’en témoigne surabondamment la longue liste des anciennes upanishats[1], mais, du moins on n’avait jamais vu un râjput assez audacieux pour oser élever autel contre autel, comme le faisait le lion de Kapilavastu, Çâkyasinha. Pour s’immiscer dans les choses religieuses, les kshatriyas, jusque-là, n’étaient pas allés plus loin que les brâhmanes n’en pussent, sans se nuire, admettre ou du moins tolérer. Si cependant il leur était arrivé d’émettre des idées à eux, des nouveautés gênantes pour les brâhmanes, les habiles avaient pu leur donner, grâce à leur nature constamment panthéiste, une tournure capable de les concilier avec le brâhmanisme, tel que les brâhmanas et les sûtras avaient commencé à le constituer. C’est ainsi qu’ils avaient identifié avec leur Brahman cet Atman ou âme universelle dont la doctrine avait été, d’après les anciennes upanishats, inaugurée par les kshatriyas alors qu’il n’y avait pas encore de brâhmanes. Les kshatriyas n’avaient pas réclamé contre cette appropriation ressemblant si fort à une expropriation. Donc, avec des gens d’aussi bonne composition, il n’y avait pas à craindre qu’une doctrine nouvelle s’établit et se développât au détriment de la religion orthodoxe déjà généralement acceptée, et encore moins qu’elle se substituât aux dogmes brâhmaniques.

Avec un râjput du tempérament de Çâkyamuni il y avait tout à redouter. La doctrine du hardi novateur visait ouvertement à la destruction du brâhmanisme et, qui pis est, à dépouiller les brâhmanes des avantages d’une position privilégiée. En effet, le buddhisme vainqueur, la caste sacerdotale, comme le système qu’elle couronnait, n’avait plus de sens ; lui debout, la théorie croulait avec le régime auquel elle servait de base.

Voilà donc un adversaire vraiment dangereux ; il fallait en avoir raison. Mais comment ? Le génie de la race même l’indiquait. Ce génie, panthéiste ab ovo, se prêtait on ne peut mieux à fournir au régime des castes, jusque-là flottant encore au gré des vicissitudes de la féodalité, une base fatale et immuable, la base de l’émanation divine.

Toutefois, les bons pères avaient l’esprit trop délié et possédaient trop bien l’art de faire valoir cette qualité pour rien précipiter dans l’exécution de leur plan. Festina lente. Ils commencèrent par dérober aux

  1. On n’en connaît pas encore le chiffre exact, car on continue d’en découvrir d’année en année, mais celles qui, jusqu’à présent, paraissent avoir droit au titre d’anciennes, sont au nombre de plus de 134.