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peuple du monde supérieur ». Je suis le roi Varuna ; je possède la force. Les héros qui combattent sur leurs bons chevaux, m’invoquent dans le choc des armées. J’ordonne la bataille, moi, l’héroïque Indra : râjami krishter upamasya vavreh.. mân narah svaçvâ vâjayanto mân vritâh samarane havante, krinomy âjin maghavâ aham indra, iyarmi renum abhibhûty’aujâh[1].

Voilà le kshairiya de l’époque védique bien en vue. Évidemment, le chef militaire, riche et brillant héros, sûri maghavan[2], donateur de biens, vasudâvan, présidant en outre aux sacrifices ; le kshatra était la clef de voûte de l’organisation sociale des Aryas longtemps avant le brâhmane, le prêtre hiératique, et il en a été ainsi chez tous les peuples indo-européens. Les Celtes paraissent faire exception. Dès l’origine nous voyons primer chez eux le pouvoir sacerdotal, ce qui nous explique la grande puissance que les prêtres et principalement les évêques exercent encore aujourd’hui sur le peuple en France. Chez les tribus germaniques et Scandinaves, au contraire, le König, le roi, se présente toujours comme le puissant par excellence, et chez les Irâniens, le Kshathra qui, comme König, dérive d’un radical signifiant « pouvoir », est même classé parmi les ameshaçpentas, les coopérateurs d’Ahuramazda

Cependant le noble et le prêtre s’appellent réciproquement, parce qu’ils se complètent l’un l’autre, sinon dans l’intérêt du peuple, du moins dans l’intérêt de leur ambition. L’autel, on le sait, fait habituellement bon ménage avec le trône, et le trône avec l’autel. Aussi les passages ne manquent pas dans les hymnes où les deux pouvoirs se montrent unis de cœur et d’esprit. Agni est supplié par le brihaspati de conserver à nos maghavan une domination stable et une force inaltérable asmâkam agne maghavatsu dhârayânâmi kshatram ajaram surviryam[3],et Vasishtha réclame la protection du dieu « pour nous qui chantent et pour nos gouvernants[4] ». Déjà, d’ailleurs, les ancêtres de ces princes, d’accord avec les dieux, enseignaient et pratiquaient une loi juste, pûrva ritasâpa âsan sâkan devebhir avadann ritâm[5], et c’est en conséquence que les kshatriyas se donnaient pour dépositaires et dispensateurs d’une grande doctrine.

La position des kshatriyas étant telle, comment ces héros, naras, ces demi-dieux, arddhadevas, ces possesseurs du pouvoir proprement die, le kshatram, auraient-ils pu consentir à se diminuer en acceptant, légalement du moins, avec leur parquement la suprématie

  1. R. V., IV, 42, 1, 2, 5 (III, 201).
  2. « Sois un brillant héros, ô maître illustre : sa bodhi sûrir maghavâ vasupate (Ibid., II, 6, 4 ; II, p. 443). Sûri est aussi équivalent de maghavan, p. ex. VI, 8, 7 (III, 601) ; asmâkam pâdbi sûrin protège nos sûris (héros).
  3. R. V., VI, 8, 6.
  4. Asmân grinata uta no maghonah (Ibid., VII, 12, 2 ; III 943) sur le changement de maghavâ en maghonah V. Wilson, S. D. s. v. maghavan.
  5. Ib. I, 179, 2 (II, 354).