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avoir été réel, attendu que le souvenir s’en est perpétué dans le Véda et jusque dans certaines expressions du code national, toujours est-il que le kshatriya, qu’il fût arya ou dâsa, faisait, comme râjâ, râjanya, râjaputra, partie intégrante de l’existence historique des premiers conquérants védiques. Fondateur d’une part, de l’autre produit de ce régime féodal que les textes nous attestent de bien des manières, entre autres par le sacrifice déjà mentionné du cheval, qui est chanté dans deux hymnes du Rig et fait le sujet d’un curieux épisode du Râmâyana[1], le kshatra, à la fois ancêtre et vassal du roi souverain de la terre (indienne) mahipatih, était le compagnon de son suzerain particulier dans les batailles et son commensal domestique. Il doit faire hommage à son chef, le roi, de la partie la plus précieuse de ses prises de guerre[2]. Le Véda chante la puissance du kshatra souverain des Parus[3], les Macédoniens ou les Prussiens de leur temps. Il s’appelait Trasadasyu ; c’est un demi-dieu. De son côté, le Râmâyana narre l’histoire du roi Sagara, que Râma appelle son aîné, pûrvako[4]. Ayant pu, en dépit de tous les obstacles, achever le sacrifice du cheval que lui avait enlevé un roi jaloux de sa fortune et qui avait pris la forme d’un naga ou serpent, kenâpi nâgarûpena, Sagara ne tomba sous la loi du temps[5] qu’après un règne souverain de 30,000 années. Le temps ne coûte rien aux Indiens.

Mais il n’y avait pas que des hommes élevés à la dignité de chef suzerain, samrâjâ ; le régime féodal était si complètement entré dans les mœurs védiques, qui cependant ne cessaient pas pour cela de rester pastorales[6], qu’on la transportait aussi parmi les dieux. Le Véda et en général toutes les religions primitives donnent au ciel plus encore qu’elles n’en reçoivent. C’est tout naturel[7]. Avant que Dieu n’eût créé l’homme à son image, l’homme l’avait façonné à la sienne. Indra est donc le samraj, et les Maruts sont ses feudataires ; ils combattent pour lui et pour son empire. Cet empire, il va nous le dire lui-même, est « sur le

  1. Le cheval était le symbole de la puissance dominante, et, comparé au soleil qui parcourt en triomphateur sa carrière divine, il oblige tous les pays qu’il traverse, après que son maître l’a abandonné à lui-même, à se reconnaître dépendants de celui à qui il appartient et qui, ensuite, le sacrifie aux dieux. « Tu vas aux dieux, lui dit le chantre, par un beau chemin : devân ideshi pathibhih sugebhih (R. V. I, 162, 21 ; II, 237). Cf. Râmâyana, I, 41 sqq.
  2. Mânav., VII, 87 sqq., 114 sqq., 143 sqq., 158 sqq., 168, 174, 202.
  3. R. Ved., VIII, 19, 32 (IV, 465).
  4. Râm., I, 2.
  5. Râm. I, 43, 27 : yuyuje kâladharmana, il fut joint par la loi du temps, « c’est-à-dire : il mourut ».
  6. Siva même, qui est pourtant une création aussi peu pastorale que possible, reçut le reflet de ces mœurs par le titre de « maître des bestiaux, paçupatih (Râm., I, 45, 3). »
  7. Il faudrait tenir compte de cela plus qu’on ne l’a fait dans un ouvrage récent sur la genèse des idées religieuses védiques.