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preuve, c’est que les Iraniens le connaissent tout comme les Indiens. Seulement comme les dénominations de ces divisions et aussi les occupations auxquelles les différentes classes sont vouées ne concordent pas d’une race à l’autre, la preuve ne saurait être considérée comme péremptoire. Les Ibères et les Mexicains avaient, eux aussi, la division sociale quaternaire.

Cependant pour la classe des kshattrâs[1], aucun doute ne semble être permis, puisqu’on trouve ce mot, avec la même signification au fond, en sanscrit et en irânien. Kshathra, en bactrien veut dire « roi », et kshattrapa signifie « chef des kshattras » ou guerriers[2]. Le mot n’est pas dans les dictionnaires, mais des inscriptions témoignent qu’il existe. Le radical, en sanscrit et en zend, est kshi, qui veut dire « dominer. » Il se rencontre encore en grec sous la forme verbale de κτάομαι (p. κταjομαι) je donne pour moi, i. e. je possède. En zend, il y a le substantif ksaja dominateur[3], et le participe ksajant dominant.

Donc, au temps où tous les Aryas formaient encore un seul peuple, une classe d’hommes s’était isolée dans son sein et y avait pris, sous le nom de kshatrâs dominateurs (Herrscher) une position prépondérante. Voilà la classe des nobiles. Avait-elle des sujets ? Il est probable que ces sujets existaient sous le nom de Çûdras, les mêmes qui ont donné leur nom à la quatrième caste. Le mot çûdra est fort obscur ; néanmoins, quand on considère la grande affinité des articulations ç et ksh[4], on n’est pas téméraire en affirmant que, malgré la différence quantitative des voyelles, çûdra est au fond identique avec kshudra. Or ce dernier mot signifie « petit, bas, commun », ce qui assurément convient pour former le nom d’une population qui était tout à l’opposé des Aryas ou Vénérables[5]. Ce qui semblerait confirmer cette explication de l’origine des deux castes des kshatriyas et des çûdras, c’est le fait que dans la Pentapotamie, où le peuple aryen s’est établi de très bonne heure et où, par suite de la séparation du Pendjâb de l’Inde proprement dite, le régime des classes sociales s’est maintenu dans le statu quo naissant des castes, les noms de Kshatras et de Çûdrakas sont encore em-

  1. Benfey remarque que l’orthographe organique exige kshatra, avec un seul t. Mais les manuscrits sanscrits ne s’y conforment guère.
  2. C’est plutôt avec le sens de « puissance » qu’on trouve le mot kshathra. Du reste, le transport d’une acception à l’autre est le plus naturel du monde, et l’allemand le montre dans le mot König, roi, de können, pouvoir. Cf. Goett. gelehrte Anzeigen, mai 1839, p. 805.
  3. Benfey renvoie à Bopp. Vergl. Gram. Mais je lis dans la belle traduction de cet ouvrage par M. Bréal (IV, 253) que le mot signifie « destruction ». Toutefois kshi, en sansc. et en zend, a bien le sens de dominer, régner (Ib. I, 85 ; III, 425). Il y a là une contradiction in terminis que je ne me charge pas de lever.
  4. V. Griechisches Wurzel-Lexicon, I, 166.
  5. Bien entendu que je rapporte l’opinion de Benfey. J’ai montré dans mes Recherches sur la religion première de la race indo-iranienne que tel ne peut être le sens du nom des Aryas.