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de l’institution, il l’ignore, sauf toutefois celui des brâhmanes, auxquels seuls il applique la dénomination de dvijas, les deux fois nés. Mais il était obligé à cette anomalie par la raison que le buddhisme aussi se réclame de Brahmâ, tout en se moquant du dieu dans l’occasion et lui faisant confesser son infériorité au Buddha.

Mais l’observation de Ritter est d’ailleurs suffisamment confirmée par ce fait, que dans les pays buddhiques n’importe qui, de quelque religion qu’il soit, peut faire partie d’une caste[1], chose qui dans les pays où règne le brahmanisme serait absolument impossible. « Tout homme (dans le pays sacré qu’arrose le Gange) est libre de croire et même de dire ce qui lui plaît ; pourvu qu’on ne se fasse point baptiser et qu’on s’abstienne de manger avec des chrétiens et des parias, on ne peut déchoir de sa caste. » Mais s’il « embrasse le christianisme, il est absolument banni de sa tribu, et abandonné aux insultes de toute la nation[2]. » Et voilà comment le régime des castes fait que les Indiens brâhmaniques, tout en s’instruisant volontiers et même avec empressement dans la religion chrétienne, ne se font pas chrétiens. « Ils s’acquittent des cérémonies religieuses, et des chrétiennes et des païennes à la fois, pensant qu’il vaut mieux en faire trop que trop peu[3]. » Le mahométisme non plus ne leur fait pas peur. On peut en recueillir d’abondants témoignages dans les Revues annuelles sur l’état de l’Inde par M. Garcin de Tassy.

C’est aussi ce qu’ont observé V. Jacquemont et Dubois de Jancigny. Parmi les remarques de ce dernier voyageur, il en est une qui m’a frappé, à savoir que les brâhmanes, malgré toute l’autorité qu’ils possèdent dans le domaine social et religieux, jusque-là qu’ils passent pour pouvoir donner la vie et l’existence à de nouveaux dieux, ne sont ni collectivement ni individuellement le souverain de la société, et il leur est même interdit de participer au pouvoir exécutif.

Oui, tout comme chez nous aux Jésuites, ce qui veut dire que, sur le point politique de la remarque, la réalité oblige à de grandes et de nombreuses réserves. Mais faute de connaître les documents originaux, Jancigny n’en a su tirer aucune conséquence relativement à l’origine du système et à son développement. Cependant puisque les brâhmanes enseignent, conseillent, administrent et jugent, sans qu’ils aient, ostensiblement du moins, la disposition du pouvoir exécutif, il était permis à notre voyageur d’en conclure que c’est l’esprit séculier, l’esprit kshatriya dans l’espèce, qui a présidé à l’origine de l’institution. Mais cela assurément n’a pas pu se faire sans participation aucune du

  1. J. Davy, Account of the interior of Ceylon, p. 121 : There is, holding nearly the same rank as the Goewanse (3e caste), and liable to the same services though not strictly belonging to the caste, a certain description of Singalese Christians, etc.
  2. Heber, ouvr. c., II, 71, 85. La Croze, ouvr. c., p. 477.
  3. Dubois de Jancigny, Inde, p, 163, 165. Niebuhr, Voy. en Arabie, etc., II, 18 ; éd. fr. Graul, I. c. III, 29, 147.