Page:Schoebel - Inde française, l’histoire des origines et du développement des castes de l’Inde.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 23 —

mariage, et souvent elles, s’entre-haïssent mortellement. » Quant aux « diverses subdivisions », l’auteur en compte, d’après les missionnaires danois, « jusqu’à nonante-huit ». Elles « diffèrent entre elles par l’addition ou la diminution de quelques prérogatives établies par un long usage », et qui, ajoutons-le, sont habituellement des plus futiles, comme, par exemple, le droit de porter des babouches ou de se servir d’un parapluie, je me trompe, d’un parasol.

Mais je laisse La Croze pour Carsten Niebuhr[1]. Ce voyageur distingué ne vit qu’un coin de l’Inde, mais son sens critique, développé par de fortes études, lui a permis de voir bien et beaucoup en peu de temps. Il attribue les castes, au moins quant à leur origine, au penchant des Indiens de conserver le souvenir de leurs origines diverses. « La cause, dit-il, pour laquelle les Indiens portent toujours le nom de la tribu ou ils sont nés, est, selon toute apparence, pour qu’ils n’oublient pas la condition de leurs ancêtres. » Voilà un sentiment qui, s’il ne répond pas à la réalité historique, est du moins plausible ; et plus tard, un autre voyageur qui ne le cédait pas à Niebuhr en instruction et en sagacité, je veux dire Burckhardt[2], l’a appuyé de son témoignage, quand il constate le génie conservateur des Indiens par le fait que les marchands indiens, établis en Arabie depuis plusieurs générations et complètement naturalisés d’ailleurs, continuent à parler hindou et à se distinguer des Arabes par leurs usages.

Cependant à ne considérer les castes que dans leur développement social, Niebuhr incline à ne voir en elles qu’une institution similaire à celle de nos corporations : nur als verschiedene Zünfte anzusehen[3]. En effet, sinon les castes, du moins les sous-castes, et on ne voit plus guère qu’elles, les sous-castes ont, à un degré plus rigide et plus exclusif, tous les caractères de nos anciennes corporations ; chacune d’elles a la même profession, le même métier, le même emploi, les mêmes devoirs, les mêmes signes pour se faire connaître et reconnaître, la même fierté de son état social et le même soin jaloux de se conserver intacte par l’hérédité. Toutefois, l’hérédité n’est le signe fatal et absolu de la caste qu’en théorie. On naît avec sa caste, c’est sûr ; mais comme il est des accommodements avec le ciel, il y a des moyens pour entrer dans une caste supérieure à celle qui vous a vu naître, et la clef d’or, dans l’Inde tout comme chez nous, ouvre les portes les mieux fermées. Niebuhr cite après d’autres l’exemple d’un roi qui, désirant être de la caste brâhmanique, obtint l’objet de son vœu en faisant cadeau aux prêtres d’une vache en or si grande qu’un homme pouvait y entrer par le derrière et en sortir par la bouche. Le tour était bon et la théorie n’avait rien à dire. Car le roi sortit de sa caste par la bouche

  1. Voyage en Arabie et en d’autres pays circonvoisins. II, 14 ; tr. fr. 1780, 4°.
  2. Voyage en Arabie, par Burckhardt, I, 48 ; ci. 113 ; tr. Eyriès.
  3. C. Niebuhr’s Reisebeschr nach Arabien, II, 17 ; Kopenh.