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pour boire en chemin[1], l’autre de tenir preste la pipe de tabac, si le maître demandoit à celuy-cy le service auquel l’autre est employé le service ne luy serait pas rendu, et le valet demeureroit comme immobile[2]. Pour ce qui est des esclaves ils sont obligez de faire tout ce que le maître leur commande.»

La distinction que fait Tavernier entre les esclaves et les Alacors est judicieuse, elle nous montre que ceux-là étaient des out-laws, des gens qui n’avaient jamais été d’aucune caste, mais que ceux-ci constituent un ramassis d’excommuniés, la tourbe légale d’impurs, une out-caste. Le caractère d’Alacors ressort encore mieux de ce qu’ajoute l’auteur en disant :

« Comme cette caste des Alacors n’est occupée qu’à vuider les ordures des maisons, elle ne vit aussi que des restes de ce que mangent les autres de quelque secte qu’ils soient, et ne fait point de scrupule de manger, indifféremment de toutes choses. » C’est même à cause de cela qu’ils portent le nom qu’ils ont : Alacors ou Halalcour, comme écrit Thévenot, est un terme persan dont le sens est : celui qui se donne la liberté de manger de tout ce qu’il lui plaît.

Mais voilà le plus intéressant de ce que nous dit sur les castes le marchand Tavernier. S’il a fait des confusions, si surtout il n’a pas pénétré la raison du régime, c’est qu’il ne suffit pas pour savoir de voyager sur les lieux, si, préalablement, on n’a pas voyagé dans les livres. Quelques-uns se moquent des savants de cabinet ; ce sont des ignares ; sans les savants de cabinet, il n’y aurait pas de science du tout.

Maintenant voyons Thevenot, un savant que celui-là, et élève, parait-il, du célèbre orientaliste d’Herbelot.

Tout d’abord, nous tombons chez lui sur une observation qui marque un excellent jugement. Après avoir parlé des quatre castes ou tribus, il continue en disant : « Il n’y avait anciennement que quatre tribus ; mais, par succession de temps, tous les gens qui se sont attachés à une même profession ont composé leur tribu ou caste, et c’est ce qui en a fait un si grand nombre[3]. » N’est-il pas évident que l’auteur explique par ces paroles le système des castes comme un fait social, et, partant, historique, tant dans ses origines que dans ses développements ? La justesse de ses autres observations, sauf l’erreur de placer

  1. La coutume de se faire verser à boire en chemin par un domestique ad hoc, parait être commune à tout l’Orient. Le chah de Perse, lors de son séjour à Paris, n’y manquait pas, comme j’ai pu le voir.
  2. « Celui qui balance l’éventail au-dessus de votre tête, refusera de porter un plat dans la chambre à côté, etc. » Soltykoff eut de l’humeur au sujet de ces mœurs (Voy. I, 167).
  3. Voyage des Indes, de M. de Thevenot, p. 185 ; Paris, 1684, 4°.