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parce que l’étranger voulait forcer le soldat indigène à souiller ses lèvres au contact de cartouches enduites d’un peu de graisse de bœuf ou de porc. Pour prévenir la catastrophe, il aurait suffi à la prudence anglaise de prendre conseil de leur grand poète national, quand il met dans la bouche du fanatique Shylock ces paroles fatidiques : « Je veux bien acheter avec vous, vendre avec vous, parler avec vous, me promener avec vous, et ainsi de suite ; mais je ne veux pas manger avec vous, ni boire avec vous, ni prier avec vous[1]. »

Qu’on se garde donc d’irriter les susceptibilités indiennes à l’endroit de la religion. Les gouverneurs des établissements français, eux aussi, savent ce qu’il en coûte et quelle énergie de révolte leurs administrés sont capables de déployer dès que l’autorité s’avise d’intervenir dans l’exercice des prérogatives et privilèges que revendiquent, l’une contre l’autre, les castes de la main droite et celles de la main gauche. Le Conseil supérieur de Madras ayant, en 1768, interdit aux deux mains le port d’armes et l’ayant, peu de temps après, permis à un homme de la main gauche pour le jour seulement de son mariage, il y eut (les 10 et 11 août) de véritables batailles et l’émeute dura jusqu’au 21 du mois. Il y eut des maisons pillées, le marché resta fermé, et cinq à six mille hommes en armes parcoururent les rues, même celles de la ville blanche[2].

Mais voilà la cause suffisamment instruite, si je ne me trompe. Nous avons déroulé le tableau de la formation des castes, autant, je crois, qu’il faut pour se représenter ce qu’a pu être en réalité la caste à différentes époques du passé de l’Inde. Nous pourrions donc clore ici notre Mémoire ; cependant, comme un coup d’œil sur l’ensemble de nos recherches pourra paraître utile, nous allons grouper par époques les résultats de ces longues investigations et, s’il y a lieu, les compléter, chemin faisant.


CINQUIÈME PARTIE.


Je distingue quatre époques relativement au sujet qui nous occupe.

I. Époque purement védique.

Bien que nous n’ayons pas le Véda dans l’intégrité de sa forme primitive, puisqu’on peut démontrer, moins par la langue que par les idées, l’ingérence de la main, j’allais dire de la tête des brâhmanes dans le

  1. I will buy with you, sell with you, talk with you, and so following, but I will not eat with you, drink with you, nor pray with you. (Shakspeare, Merchant of Venice, act. I. sc. III).
  2. Vinson, les Castes du Sud de l’Inde, I. c. p. 136.