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ANNALES DU MUSÉE GUIMET

mais les Dragsheds les poursuivent et les poussent dans des maisons, dans des trous, etc., où ils sont à l’abri de plus longues molestations. Le drame est fini. Tous les acteurs, Dragsheds, hommes et démons, reviennent et chantent des hymnes en l’honneur des Dragsheds victorieux.

Pendant la représentation, qui dure de une à deux heures, il arrive quelquefois des méprises risibles à cause des masques qui, dans certaines positions, privent les acteurs de l’usage de leurs yeux ; ainsi il arrive qu’un Dragshed en frappe un autre, ou qu’il tombe — lui un si puissant dieu ! — tout de son long par terre, où il est rossé par les démons jusqu’à ce qu’il soit de nouveau sur pied.

Ces drames nous rappellent les Mystères et les Moralités du moyen âge[1] ; mais la musique bruyante, les décharges de mousqueterie et la mêlée finale produisent un effet qui s’accorde moins encore que les intermèdes comiques et burlesques des Mystères et des Moralités avec un acte religieux. Ces intermèdes étaient destinés à amuser l’auditoire et à détendre les esprits dans les intervalles entre les parties plus sérieuses de la pièce, qui devaient exciter les sentiments de dévotion et éveiller le sens moral.

L’analogie est frappante entre les sujets des drames religieux représentés à Arrakan et ceux du Tibet. Je prends la description suivante dans le « Eastern Monachism » de Hardy[2] :

« Des lignes sont tracées sur le sol, dans un espace libre, et on introduit les danseurs. Ces lignes figurent les limites du territoire appartenant à divers Yakas ou Devas, et la dernière est celle des Bouddhas. Un des danseurs s’avance vers la première limite et, quand il a appris à quel Yaka elle appartient, il défie le démon en l’appelant par son nom et en proférant les paroles les plus insultantes ; il déclare ensuite qu’en dépit de tous les obstacles il franchira la limite et envahira le territoire de son infernal adversaire. Il passe alors la limite en triomphe et en fait autant pour tous les autres démons ou divinités qui ont des territoires désignés, jusqu’à ce qu’il arrive enfin à la limite des Bouddhas. Il fait encore parade de la même vaillance et défie le « prêtre à tête laineuse qui porte la coupe à aumônes de seuil en seuil,

  1. Comparez Alt Theater und Kirche, Berlin, 1816, chap. xxvi et xxvii. Les Passion Spiele qui sont encore en usage à Oberammergau en Bavière, ont pris à présent un caractère très sérieux.
  2. P. 296.