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LE BOUDDHISME AU TIBET

mais non de l’existence absolue, et ce n’est pas encore la perfection des Bouddhas.

En général les Tibétains d’aujourd’hui ne font pas de distinction entre Nirvāna et Soukhavati ; leur idéal suprême est la libération de la renaissance et l’admission à Soukhavati. Mes frères, qui ont souvent pu consulter les lamas tibétains, ont appris qu’une opinion toute particulière s’est maintenant établie au sujet du complet affranchissement de la métempsycose. On admet que ceux qui y sont parvenus n’ont plus aucune notion de leur existence ; un lama les comparait à un homme bien portant, pourvu d’un estomac, de poumons, d’un foie, etc., qui ne s’aperçoit en rien de l’existence de ces organes. On peut juger de l’importance attachée à la délivrance de la métempsychose par une conversation que mon frère Hermann eut avec un lama de Bhoūtan. Cet homme avait habité Lhássa pendant le séjour qu’y firent les missionnaires français Huc et Gabet et avait vu quelques lithographies coloriées représentant Notre Seigneur Jésus-Christ et divers épisodes de l’histoire biblique. Il arguait contre la religion de ces missionnaires qu’elle ne comporte point l’affranchissement final. Selon les principes de leur religion, disait-il, la récompense des dévots est la renaissance parmi les serviteurs du Dieu suprême, ils passeront l’éternité à chanter des hymnes, réciter des psaumes et des prières à sa gloire et en son honneur. Ces êtres ne sont donc pas libérés de la métempsycose ; qui peut affirmer que s’ils se relâchent de leurs devoirs, ils ne seront pas expulsés du monde où Dieu réside, pour renaître, en punition de leurs fautes, dans le monde des misérables[1] ?

Les doctrines bouddhistes, concluait-il, sont bien préférables ; elles ne permettent pas de priver l’homme des fruits de ses bonnes œuvres, et s’il peut atteindre une bonne fois la perfection finale, il ne sera plus soumis à la métempsycose. Cependant s’il désire faire du bien aux hommes, il peut, quand il le veut, reprendre la forme humaine, sans être obligé de la garder ou d’en subir les inconvénients.

L’heureuse région Soukhavati, où règne Amitābha, est située bien loin vers

  1. Dans les dessins qu’avait vus le Lama, des anges volaient sans doute dans les airs au-dessus et autour des figures principales. Il devait connaître aussi l’expulsion des mauvais anges.