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d’élégantes méchancetés trop fortes pour elle et qui la flattaient évidemment[1]. Elle légua son Ronsard à l’Estoile, ce qui était une preuve de haute estime. Richelieu s’amusait de son esprit. Boisrobert se montrait à son égard prévenant et plein de sympathique indulgence[2], sans cependant renoncer à se moquer d’elle derrière son dos. Racan la taquinait volontiers sur sa poésie. Il lui reprochait surtout de ne pas aiguiser ses épigrammes qui manquaient de pointe. Les « Menagiana » content à ce sujet une plaisante histoire : « Racan alla voir un jour Mademoiselle de

  1. Le 30 août 1624, Balzac a écrit une longue lettre à Marie de Gournay pour l’assurer de son estime. Elle lui avait sans doute communiqué son apologie ou quelque autre écrit pour faire taire les médisants qui l’accablaient. La rhétorique de Balzac enveloppe si bien son ironie que sa correspondante a fort bien pu s’y méprendre : « Mademoiselle, je vous déclare d’abord, que je n’ay point d’autre opinion de vous que celle que vous me donnés vous-mesme, et j’ay tousjours jugé plus hardiment des qualités de l’ame par la parole, que par la physionomie… Ce n’est pas à dire que pour avoir les vertus de nostre sexe, vous ne vous soyez pas réservée celle du vostre, et que ce soit un peché à une femme d’entendre le langage que parloient autres-fois les Vestales… Depuis le temps qu’on vous loüe, la chrestienté a changé dix fois de face. Ny nos mœurs, ny nos habillemens, ny nostre cour ne seroient pas reconnoissables à celle que vous avez veuë. Les hommes ont fait de nouvelles loix, et introduit un autre Dieu dans le monde, et les vertus de l’age de nos peres ce sont les vices de celuy-cy : Neantmoins on sçaura que parmy de si notables changemens, et des revolutions si estranges, vous aves apporté jusques à nous une mesme reputation, et que vostre beauté, je parle de celle qui donne de l’amour aux capucins et aux philosophes, ne s’en est point allee avecque vostre jeunesse. « Lettres de Monsieur de Balzac, troisiesme édition. Augmentée de nouveau. À Paris, chez Toussainct du Bray, 1626.
  2. Cf. E. Magne, Le plaisant abbé de Boisrobert (Paris, 1909), p. 116.