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soubs la figure d’un animal assez sauvage, pour faire peur aux petits enfans. Et bien qu’il soit très-rare aux cours et parmy les grands, de corriger des preventions, il se mocqua de tels contes dès qu’il m’eust veuë ; comme plus difficile à mener par le nez, que ne sont ordinairement les personnes de sa qualité[1]. » Mademoiselle de Gournay espère que la reine voudra bien la voir d’un aussi bon œil que le roi qui dès leur première entrevue lui ordonna de se montrer souvent à la cour.

« L’exclamation sur l’assassinat déplorable de l’année mil six cens dix » et la « prière pour l’ame du roy » témoignent comme « l’adieu » de la reconnaissance que la fille d’alliance de Montaigne avait vouée à Henri IV. Malgré la guerre au couteau que Marie faisait aux courtisans, elle usait comme eux de la flatterie, mais elle la maniait avec un mélange de sincérité et d’exagération tout à fait amusant[2]. Peut-être

  1. Marie de Gournay n’aime pas ne dire qu’une fois les choses qui lui tiennent à cœur, particulièrement si elles lui sont favorables ; aussi elle reprend ce thème dans une sorte de note piquée à la suite de son apologie : « Le Roy pere de ce bon Prince, dit-elle en parlant d’Henri IV et de Louis XIII, m’avoit commandé un mois seulement avant sa mort, de frequenter la cour, bien que j’y apportasse peu d’inclination. Et plusieurs des plus honnestes gens de ce climat sçavent, de quel œil il me vid, et de quelle sorte il releva certaines testes de trop de loisir, que mon latin et ma mauvaise fortune avoit excitées à luy faire des contes frivoles de moy : cela fit espérer aux clairvoyans, qu’il eust prevenu le Roy son fils à m’honnorer de ses bienfaicts, si la mort ne l’eust prévenu luy-mesme. »
  2. Un exemple suffira ; lisez les vers intitulés Sur quelque bain du Roy :


    L’histoire escrit qu’un grand Milord anglois,
    Fut condamné par les severes loix :
    Parce qu’il fit une trame felonne,
    Contre son Roy pour ravir la couronne.
    Le choix de mort ce bon Prince octroya,
    Dans le vin grec le galant se noya.
    Que si jamais en la sotte entreprise
    De cet anglois je me trouve surprise,
    Si mon dessein sur le throsne entreprend
    De Saint Louis et de Charles le Grand ;
    Je ne mourray comme ce lourd yvrongne,
    Dans le vin grec moins flambant que sa trongne :
    Mais si le chois du supplice est à moy,
    Je veux perir dans l’eau des bains du Roy.