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qui veulent vivre avec quelque bien-seance du monde, de consulter s’il couste trop ou non[1]. »

Enfin, vaincue par le dégoût que lui inspire une telle conduite. Mademoiselle de Gournay lance une violente imprécation contre ces « dames jadis belles » qui, pour entretenir les grands, enfilent des contes sur son « apparat pretendu » pour lui nuire en haut lieu. Et la voix de la vieille fille de lettres se fait aigre pour parler de ces femmes qui pour fonder leur apparat, comme elle dit, n’ont pas attendu pareille nécessité que la sienne « et qui n’ont pas craint d’accepter des hommes, vilainement requis, le bien qu’elle a parfois refusé des femmes, dignement offert, pour faire chose encore plus digne en le reservant à leur propre besoin[2]. »

  1. L’apologie pour celle qui escrit fut composée, Mademoiselle de Gournay elle-même nous l’apprend, dès le bas aage du Roy Louys 13. Plus tard, à l’âge où l’on est revenu de bien des choses, Marie de Gournay refusa l’usage d’un carrosse que lui offrait le cardinal de Richelieu amusé par les originalités de la vieille fille. C’est à l’abbé de Marolles que j’emprunte ce renseignement. Dans ses Mémoires, en parlant des grands personnages qui ont donné des louanges à Marie de Gournay, il dit que messieurs les surintendants « ont tousjours eu soin de luy payer une pension assez mediocre, que le Roi luy donnoit, et n’en a jamais voulu avoir davantage, à la charge de se servir d’un carosse, comme je sçay qu’il luy fut offert de la part de M. le Cardinal de Richelieu. »
  2. Marie de Gournay emploie souvent en parlant de personnes des mots tels que « buffle » et « veau » et même des expressions plus crues quand elle est transportée par la passion polémique. Mais lorsqu’elle est calme, il lui répugne de se servir de termes qui ne conviennent pas à son sexe. Ainsi quand elle se vante d’avoir traduit les nombreuses citations dont les Essais sont émaillés, elle remarque qu’elle en a adouci quelques-unes. « J’ai traduit, dit-elle, les grecs aussi, sauf deux ou trois, que l’autheur a traduits luy-mesme, les insérant en son texte. Ny ne presente point d’excuse d’avoir laissé dormir les libertins, sous le voile de leur langue estrangere, ou d’avoir tors le nez à quelque mot fripon de l’un d’entr’eux : si ce mot a esté le seul, qui me peut empescher d’en faire present au lecteur.» Et d’autres fois, tout à coup, une expression courante la choque. Dans son traité « de la medisance et qu’elle est principale cause des duels », dédié à la marquise de Guercheville, elle s’écrie : « N’est-ce pas, comme escrivoit quelqu’un, chercher du fumier ou pis parmy des perles ? Que les muses et vous me pardonniez, Madame, s’il vous plaist, si j’ose estant de vostre commun sexe prononcer cette saleté, par la nécessité d’une deuë comparaison. »