Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.

solennel abandon : « Je t’aime, ô jeune fille, dit-il, mais comme j’aime la sagesse, chastement. Fais de même à mon égard et, puisque celui que tu nommais ton père n’est plus de ce monde, regarde-moi comme ton frère[1]. »

Mademoiselle de Gournay, très réellement affligée par cette perte, s’occupa de conserver le mieux possible sa douleur, et d’en tirer, tant au point de vue littéraire qu’au point de vue social, tout ce qu’elle pouvait lui donner. En disant cela, je ne prétends pas faire injure à sa sincérité. Je veux seulement faire entendre qu’elle était atteinte, à un degré exceptionnel, du mal littéraire qui nous concentre sur nous-mêmes et qui donne, à nos souffrances comme à nos joies, avant tout une valeur d’expression. Marie eut la consolation d’apprendre par les proches de son ami le cas que celui-ci faisait d’elle. Elle fut en quelque sorte l’exécuteur du testament intellectuel de son second père, puisqu’elle reçut quinze mois après sa mort les papiers recueillis par sa veuve et triés par Pierre de Brach pour servir à la nouvelle édition des Essais. Ce travail l’occupa longtemps. Elle publia un texte

  1. Justi Lipsii epistolarum selectarum centuria Ia, ad Belgas, epist. XV.
    Une note du Dr Payen dans le Bulletin du bibliophile déjà cité attire l’attention de ses lecteurs sur ces parentés électives assez fréquentes au xvie siècle. Il rappelle que Marot avait une mère d’alliance, que Montaigne se disait le frère de La Boëtie et que l’auteur des Essais donna à Charron le droit de porter ses armes après sa mort. Lipse d’ailleurs ne se borna pas à cette première déclaration de fraternité : dans une lettre écrite le 4 mai 1597, il nomme Mademoiselle de Gournay virgo et soror.