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et Nicolas Heinsius lui décocha le traditionnel compliment auquel elle ne cessait pas d’être sensible : Ausa virgo concurrere viris scandit supra viros. Mais ce qui dut la charmer plus que tout le reste, ce fut l’hommage d’un autre Hollandais célèbre, Hugo Grotius, qui traduisit en latin des vers qu’elle avait adressés au maréchal de Thoiras.

Anne-Marie de Schurman fit mieux que des vers pour défendre les idées chères à Marie de Gournay. En 1646 parut à Paris un petit volume latin, accompagné d’une traduction française de Colletet. Cet ouvrage, édité par Rolet le Duc, porte le titre de Question célèbre. S’il est nécessaire ou non, que les filles soient sçauantes. Agitée de part et d’autre, par Mademoiselle Anne Marie de Schurman holandaise, et le Sr André Rivet poitevin.

Le premier discours contenu dans ce livre est daté du 6 mars 1638. Voici en quels termes mademoiselle de Schurman pose la question : « Il s’agist donc de sçavoir si en ce temps, et dans l’estat ou sont les affaires, il est à propos qu’une fille s’applique entièrement à l’estude des bonnes lettres, et à la connoissance des arts et des sciences. Quand a moy je suis pour l’affirmative ; je tiens qu’elle le peut et qu’elle le doit faire, et il me semble que pour prouver ce poinct, j’ay des raisons assez considérables. » Voilà une déclaration claire et nette. Les arguments d’Anne-Marie ne diffèrent pas beaucoup de ceux de Mademoiselle de Gournay, mais ils sont présentés avec plus de tact, avec moins de fantaisie, moins d’enthousiasme aussi. On devine derrière cette façon modérée de polémiser une personne plus modeste et peut-être plus érudite que Marie de Gournay, mais on sent aussi qu’elle est moins personnelle, moins passionnée et que le beau feu sacré de la docte Française lui fait défaut. « Je sçay bien, dit plus loin mademoiselle de Schurman, que pour ne nous pas laisser inutiles, on nous donne en partage l’esguille et le fuseau, et que l’on nous dit que cet employ doit estre celuy de nostre sexe. Mais quoy que ce soit la pensée de la pluspart du monde, et que chacun nous ait condamnées à ce bas exercice ; si est-ce que parmy les sages ceste commune erreur ne doit point passer pour une reigle infaillible. Nous devons escouter la voix de la raison, et non pas celle d’une mauvaise coustume ; par quelle loy je vous prie nous oblige t’on à de si viles occupations ? est-ce par la loy divine, ou par la loy humaine ? quoy que l’on face on ne nous pourra jamais prouver, que cet Arrest qui borne et qui