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50. De ce reproche en vain le vulgaire m’outrage :
Pour me voir sans moyens, sans mesnage on me croid :
J’en aurois à plain fond quand mon bien le vaudroit.
Ah qu’en vain nos succez nous mesurent l’estime !
Ah que le nom du pauvre aisément on opprime !
55. Mon bien court et brouillé je n’ay deu conserver,
Puis que de la misere il n’eust peu me sauver.
Mes bonnes qualitez prendront icy leur place.
Les loix de l’équité d’un sainct respect j’embrasse.
J’ay l’entregent modeste et de l’honneur j’ay soin.
60. Je n’ayme pas l’argent que pour le seul besoin.
Que si j’ay ce deffaut d’aymer un peu la gloire,
L’ambition au-moins me cede la victoire :
Je dis l’ambition que les Cours vont suivant :
Qui cognoist ses objects il mesprise leur vent.
65. Et n’aurois veu des Grands la pompeuse hautesse,
Sans la nécessité tyrannique maistresse.
Mes mœurs et mon humeur luisent d’égalité.
Mon jugement refuit toute temerité.
Car ceste erreur je hays ridicule et sifflable,
70. Qui pleige à tous momens pour vray le vray semblable :
Et ce vice commun je fuis d’un soin exprés.
De prendre pour un poinct celuy qui loge auprés.
Par fois doncques en vain j’espère ou je soupçonne.
Mais lors sans affermer mon jugement tastonne :
75. S’il afferme, il va droict, et s’y prend rarement :
Et si je fais gageure elle court seurement.
Je ne juge de rien par coustume vulgaire.
Hors du trop et du peu mes devis je tempere.
Le propos indiscret j’ay tousjours évité.
80. Je n’au[r]ois dans un thrône orgueil ny vanité.
L’effort de mon mal-heur mon courage ne brise.
Mon courroux bien qu’ardent ma raison ne maistrise :
Ny jamais ses eslants ne m’ont faict ressentir
Les honteux aiguillons d’un tardif repentir.
85. Nulle humeur volontaire en mes mœurs ne tient place.
Toute bisarrerie aux Indes je déchasse :
Et ne fais ou dis rien en aucune saison,
Dont mon chetif discours ne peust rendre raison.
Ma science proscrit toute pedenterie.