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de cette sorte montrent un besoin de notre intelligence, qui, ne pouvant précisément exprimer ce qui se passe en nous, procède par opposition, cherche à répondre aux questions de deux manières différentes et à saisir, en quelque sorte, par là, l’idée moyenne.

Le spectateur. — Très-bien ; seulement expliquez-vous plus clairement, et, si j’ose vous en prier, par des exemples.

L’avocat. — C’est ce qui me sera très-facile et dans mon propre intérêt. Ainsi, par exemple, lorsque vous êtes à l’Opéra, n’éprouvez-vous pas un plaisir très-vif ?

Le spectateur. — Oui, lorsque tout s’accorde parfaitement, c’est en effet pour moi la jouissance la plus vive que je puisse éprouver.

L’avocat. — Mais, si vous voyez de braves gens se rencontrer et se complimenter en chantant à tue tête, chanter en lisant des billets qu’ils reçoivent, déclarer leur amour, exprimer leur haine et toutes leurs passions en chantant, se disputer en chantant, et mourir en chantant, pouvez-vous dire que cette représentation tout entière ou seulement une partie vous paraisse vraie ? Quant à moi, j’ose affirmer que je n’ai là sous les yeux qu’une apparence de vérité.

Le spectateur. — En effet, si j’y réfléchis, je ne sais trop que dire, et tout cela n’a pas l’air d’être bien conforme à la vérité.

L’avocat. — Et cependant vous êtes parfaitement content et satisfait de ce spectacle.

Le spectateur. — Sans contredit ; je me rappelle même combien on a voulu autrefois rendre l’Opéra ridicule à cause de sa grossière invraisemblance, et comment, malgré cela, il m’a fait éprouver les plus grandes jouissances, combien j’y en ai trouvé de nouvelles à mesure qu’il s’est perfectionné de plus en plus.

L’avocat. — Et ne vous sentez-vous pas, à l’Opéra, dans une parfaite illusion.