Page:Schelling - Écrits philosophiques, 1847, trad. Bénard.djvu/440

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas en les écartant, ou en les amoindrissant, que l’on produit la beauté, mais par l’empire qu’exerce la beauté sur elles. La force des passions doit, par conséquent, se montrer. Il doit être visible qu’elles peuvent se soulever dans toute leur violence, mais qu’elles sont maintenues par l’énergie du caractère, et qu’elles viennent se briser contre les lois d’une inébranlable beauté, comme les flots d’un fleuve qui remplit ses bords, mais ne peut les inonder. Autrement, cette entreprise de modérer les passions ne pourrait se comparer qu’à celle de ces moralistes étroits qui, pour avoir meilleur marché de la nature humaine, ont volontiers pris le parti de la mutiler, et qui ont si bien réussi à supprimer dans l’homme tout ce qu’il y a de positif dans ses actions, que le peuple se repaît du spectacle des grands crimes pour se délasser au moins par la vue de quelque chose de positif.

Dans la nature et dans l’art, l’essence aspire, d’abord, à se réaliser et à se manifester elle-même dans l’individuel. Aussi, dans les commencements de l’un et de l’autre, se montre la plus grande rigueur dans la forme ; car, sans la limitation, ce qui est illimité ne pourrait se manifester. Sans la rudesse, la douceur n’existerait pas, et pour que l’unité soit sentie, la séparation, la distinction et la lutte sont nécessaires. Aussi, dans ses premiers essais, l’esprit créateur paraît entièrement absorbé dans la forme, inaccessible, concentré en lui-même, âpre même dans le sublime. Mais à mesure qu’il parvient à réunir toute sa ri-