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les productions particulières de la poésie moderne doivent former un vaste poème et comme une grande épopée, jusque là, la loi nécessaire, c’est que le poète se fasse un tout de la partie du monde qui s’offre à lui ; que, des faits et des idées de son temps, il se crée sa propre mythologie. Tel est le poème de Dante ; il représente le siècle du poète dans son unité sociale, scientifique et religieuse. D’un autre côté, si le monde ancien était le monde des races, le monde nouveau est celui des individus. Dans l’antiquité, l’individu représente sa race, sa nation ; aussi, ses œuvres ont-elles un caractère de généralité, d’invariabilité, de fixité. Dans les temps modernes, l’individu se distingue et se détache davantage de la société ; son individualité est plus forte ; il est plus lui même. L’arbitraire et la mobilité doivent donc se faire reconnaître dans les créations de son esprit. Mais, comme l’art et la poésie n’existent pas sans une idée générale, il est nécessaire que le poète trouve, dans la puissance même de son originalité, un moyen de retourner à l’universalité et d’imprimer à son œuvre le cachet d’unité et d’invariabilité qui marque toutes les grandes productions de la pensée humaine.

Il faut qu’il montre par là qu’il porte en soi l’idéal de son espèce et de l’humanité entière. De cette façon se combinent en lui, dans une plus haute unité, les deux principes : l’individuel et l’universel, la liberté, la nécessité. Dante est le premier et, jusqu’ici, le plus grand exemple de cette identité.