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D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

— Faisons la paix, me répondit-il. Je n’ai point à me plaindre, vous êtes un historien fidèle ; mais cette fin ressemble un peu trop au dénoûment d’une tragédie.

La vie commence et finit par l’insouciance, et mon vieil ami était arrivé à l’âge où l’on ne trouve plus aucun plaisir à s’attrister : on pouvait lui appliquer le mot de Goëthe : « La vieillesse nous trouve encore enfants. » — Tous mes héros meurent, j’en conviens, lui répondis-je ; mais pourquoi pas ? N’est-ce pas là, et naturellement, et heureusement peut-être, la fin de tout ? et pour une joie que la mort arrête, ne met-elle pas fin à bien des misères ? Ne mourrai-je pas, moi qui vous parle ; et vous qui me lisez, êtes-vous immortel ?

Pour toute réponse, mon vieil amoureux se mit à chanter d’une voix chevrotante ce vieux refrain que je déteste ;

Nous n’avons qu’un temps à vivre,
Amis, passons-le gaîment… etc.

— Chantez ! lui dis-je, chantez ! Que prouvent vos chansons ? le monde est plein de Jean qui pleurent et de Jean qui rient ; qui pleurent, parce qu’il y a de quoi pleurer ; qui rient, parce qu’il y a de quoi rire sans doute. Mais pourtant à quoi sert qu’on rie ou qu’on pleure ? Ne ferait-on pas mieux de se tenir dans le milieu, de parler