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SOUVENIRS

que vous avez vu et pensé depuis tantôt cent ans que vous êtes au monde, justifier votre titre enfin, et joindre au tort d’avoir usé vos ailes sur toutes les grandes routes, le tort bien plus grand de voyager sérieusement sur le papier ? Croyez-moi, si vous voulez plaire, ayez de la raison, de l’esprit, du sentiment, de la passion, comme par hasard ; mais gardez-vous d’oublier la folie[1]. — Le siècle des Colomb est passé : on n’a pas besoin de découvrir un nouveau monde pour s’intituler voyageur, on l’est à moindre frais. On découvre le lieu où l’on est né, on découvre son voisin, on se découvre soi-même, ou l’on ne découvre rien du tout ; cela vaut bien mieux, cela mène moins loin, et, Dieu nous le pardonne ! cela plaît autant. Contez-donc, contez. Qu’importe comment vous contiez, pourvu que vous contiez, le temps est aux historiettes. Imitez vos contemporains, ces illustres voyageurs, qui datent des quatre coins du globe leurs impressions écrites bravement sur la paille ou sur le duvet du nid paternel ; faites comme eux. À propos de voyages, parlez de tout, et de vous-même, et de vos amis, si bon vous semble ; puis mentez un peu, et je vous promets un honnête succès ; de grandes erreurs et d’imperceptibles vérités, c’est ainsi qu’on bâtit les meilleurs ouvrages. On ne vous admirera pas, on ne vous croira pas, mais on vous lira. Vous êtes modeste ; que vous faut-il de plus ? »

Ces réflexions m’arrêtèrent un instant. Le conseil pou-

  1. Goethe.