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LE PREMIER FEUILLETON

Rappelez-vous d’ailleurs que le jour de mon escapade vous avez été passablement ennuyeux les uns et les autres, à propos d’art, de poésie, d’unité, de Boileau, d’Aristote et de M. Victor Hugo.

J’avais beau vous écouter en bâillant et japper le plus gentiment du monde, comme si j’eusse entendu quelqu’un venir à la porte, je n’ai pas été assez heureux pour vous distraire, vous et Messieurs vos amis, un seul instant de cette savante et ennuyeuse dissertation. Je n’ai pu obtenir ni caresse, ni un coup d’œil ; j’ai même été rudoyé assez violemment lorsque j’ai sauté sur vos genoux, à l’instant même où vous disiez que Lucrèce Borgia, Marie Tudor, le Roi s’amuse et Ruy Blas ressemblaient aux aboiements d’un poëte enroué. Bref, vous étiez très-désagréable ce soir-là : moi, au contraire, j’étais très-éveillé. Vous vouliez rester au logis, j’avais grande envie de courir les aventures. Ma foi, j’ai pris mon parti bien vite ; et comme j’avais trouvé sur votre table une belle loge d’avant-scène pour le théâtre des Animaux savants, je me rendis en toute hâte dans cette magnifique enceinte, toute resplendissante de l’éclat des lustres, et dans laquelle on n’attendait plus que vous et moi.

Je ne vous décrirai pas, mon cher maître, toutes les magnificences de cette assemblée, d’abord parce que je suis un écrivain novice, et ensuite parce que la description est le meilleur de votre gagne-pain. Que deviendriez-vous, en effet, sans la description ? Comment remplir votre