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UN RENARD

et enfin le courage de m’éloigner la mort dans l’âme, il est vrai, mais satisfait d’avoir remporté sur mes passions la plus difficile de toutes les victoires.

J’avais encore une lutte à soutenir avec moi-même, cependant. Ce Coq, il faut le dire, n’avait aucun égard pour l’affection irréprochable de sa jeune favorite, et ses infidélités était nombreuses. Cocotte était trop aveuglée pour s’en apercevoir, et mon rôle de rival eût été de l’avertir ; mais je vous l’ai déjà souvent répété, Monsieur, j’aimais en elle jusqu’à cette tendresse si mal payée et si mal comprise, et je n’aurai pas voulu conquérir un amour si désirable, en lui enlevant la plus chère de ses illusions.

Ces paroles vous semblent étranges dans ma bouche, je le vois ; souvent, lorsque je reviens sur une foule de sensations trop subtiles pour être conservées au fond de la mémoire, et que, par conséquent, j’ai dû omettre dans le récit que je vous fais, j’hésite aussi à me comprendre.

Alors, l’image et les préceptes de mon vieux et tendre professeur se représentent à moi : la solitude, la rêverie, l’amour surtout, ont achevé son ouvrage. Je suis bon, j’en suis sûr, et je me crois élevé, par mes sentiments et mon intelligence, au-dessus de ceux de mon espèce ; mais évidemment, je suis aussi bien plus malheureux. Parmi vous, n’en est-il pas toujours ainsi ?

Qu’ajouterai-je encore ? Les incidents d’un amour qui n’est pas partagé sont peu variés, et je suis étonné que, lorsqu’on a beaucoup souffert, on n’ait rien à raconter ;