Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/444

Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
UN RENARD

pas sans horreur qu’un cri l’aurait tuée. Pour comble de tourment, mon tour vint de faire sentinelle : il fallait abandonner Cocotte au milieu de ces infâmes bandits. J’hésitais ; une lumière soudaine vint illuminer mon inquiétude. Je me précipitai à la porte ; et au bout d’un moment, par un adroit sauve qui peut, je jetai l’alarme parmi les Renards, la plupart chargés déjà d’une autre proie, et d’ailleurs trop effrayés pour songer au trésor qu’ils laissaient derrière eux. Je rentrai dans la cour de la ferme ; et ce ne fut qu’après m’être soigneusement assuré du départ de nos compagnons que j’eus le courage de quitter Cocotte, de me dérober à sa reconnaissance. Le souvenir de cette première entrevue, quoique accompagné de regrets qui sont presque des remords, est un des seuls charmes qui soient restés à ma vie. Hélas ! rien dans ce qui a suivi cette soirée, où naquit et se développa mon amour, n’était destiné à me la faire oublier. Je ne tardai pas à m’apercevoir, car je la suivais partout et toujours, de la préférence marquée qui était accordée à Cocotte par ce sultan criard que vous connaissez, et je ne m’aveuglai pas non plus sur l’inclinaison naturelle qui la portait à lui rendre amour pour amour.

Ce n’était que promenade sentimentales, que grains de millet donnés et repris, que petites manières engageantes et que cruautés étudiées, enfin, Monsieur, ce manége éternel des gens qui s’aiment, fort ridiculisé par les autres, et effectivement bien ridicule, s’il n’était pas si fort à envier.

J’étais si habitué à être malheureux en tout, que cette