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PRIS AU PIÉGE.

et sans volonté de sortir jamais de ma prison, je rôde autour de celle qui dérobe Cocotte à l’appétit féroce de mes semblables, et à l’attachement le plus passionné et le plus respectueux qui ait jamais été ressenti ici-bas. Je sens que je dois porter jusqu’à la fin de mes ans le poids de ma chaîne, et je ne m’en plaindrais pas, s’il m’était permis de penser qu’avant le terme de ma vie et de mes douleurs, je pourrai prouver à cette créature adorable que j’étais digne de sa tendresse, ou du moins de sa pitié !

Vous êtes si rempli d’indulgence, Monsieur, que les circonstances toutes naturelles qui ont réuni nos deux existences ne vous seront peut-être pas tout à fait indifférentes.

Il faut donc, si vous le permettez, que je vous fasse assister à un sanglant conciliabule qui eut lieu l’été dernier, et où le respect dû à la mémoire de mon père me fit seul admettre ; car, je vous l’ai déjà dit, mon goût pour la vie contemplative et mon éducation excentrique et humanitaire m’avaient toujours valu, de la part de mes proches, les coups de patte et les sarcasmes les plus amers. D’ailleurs, l’assistance que j’aurais pu prêter dans une échauffourée du genre de celle dont il était question était une chose qui paraissait généralement douteuse.

Il s’agissait simplement de surprendre, pendant l’absence du maître et de ses Chiens, la basse-cour de cette ferme que vous voyez ici-près, et d’y accomplir un massacre dont les seuls préparatifs vous eussent fait dresser les cheveux sur