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UN RENARD

— Il y a bien des Poules qui ne sont pas de votre avis, Monsieur, dit mon jeune ami en soupirant ; et l’amour de Cocotte est une triste preuve de la supériorité que donne un physique avantageux, rehaussé d’une grande assurance. Pendant un temps, trompé par le peu d’expérience que j’ai des choses de la vie et par l’excès de mon amour, j’avais espéré que ce dévouement profond et sans bornes serait compris tôt ou tard par celle qui l’inspire ; que du moins on me tiendrait compte de la victoire qu’une passion insensée m’a fait remporter sur mes premiers penchants ; car, vous le savez, Monsieur, je n’étais pas né pour une pareille affection ; et quoique l’éducation eût déjà bien modifié mes instincts, j’avais peut-être eu quelque mérite à spiritualiser un attachement qui se traduit ordinairement, du Renard à la Poule, d’une façon extrêmement matérielle. Mais l’amour heureux est impitoyable ; et Cocotte me voit souffrir sans remords et presque sans s’en apercevoir. Mon rival jouit de mes peines ; car, au jeu de la fatuité et de l’insolence, il est de première force. Mes amis indignés me méprisent et m’abandonnent : je suis seul sur la terre ; mon protecteur a fini ses jours dans une retraite honorable ; et je prendrais la vie en horreur, si cette folie, qui absorbe toutes mes pensées, ne l’entourait pas encore, malgré le tourment qu’elle me cause, d’un certain et inexprimable charme.

Je vis pour voir celle que j’aime, et il faut que je la voie pour vivre : c’est un cercle vicieux, dans lequel je tourne comme un malheureux écureuil dans sa cage ; sans espoir