Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/437

Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
PRIS AU PIÉGE.

donnai tout mon amour à une créature de laquelle la haine qui divisait nos deux familles semblait m’avoir séparé pour jamais. Mais, moins heureux que lui, je ne fus pas aimé !

Je l’interrompis avec surprise.

— Qu’elle est donc m’écriai-je, la beauté assez insensible pour ne pas répondre à tant d’amour ? Quel est le héros idéal et vainqueur qui a pu vous être préféré ? car vous me l’avez dit, Cocotte en aime un autre.

— Cette beauté, Monsieur, reprit-il d’un air humilié, c’est une Poule, et mon rival un Coq.

Je demeurai confondu.

— Monsieur, lui dis-je avec autant de calme que cela fut possible, ne croyez pas qu’une inimitié récente et personnelle répande la moindre influence sur mon opinion à l’égard de cet Animal. Je me crois au-dessus de cela. Mais toute ma vie j’ai professé un si souverain mépris pour les individus de cette espèce, que je n’avais pas besoin de la sympathie bien naturelle qu’éveille en moi le récit de vos malheur pour maudire l’attachement que Cocotte porte à celui-ci. En effet, quoi de plus sottement prétentieux et plus prétentieusement ridicule qu’un Coq ? quoi de plus égoïste et de plus occupé de soi-même ? quoi de plus trivial et de plus bas ? et comme il porte bien tous ces caractères-là dans l’expression de sa stupide beauté ! Le Coq est certainement ce que je connais de plus laid, à force d’être absurde.