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L’OURS.

coup d’affection, et le passage assez fréquent des voitures publiques me procurait de nombreuses distractions. Le dimanche, les villageois et les villageoises des hameaux voisins venaient danser sous mon platane au son de la cornemuse : car mon maître était aubergiste, et c’était chez lui que les montagnards célébraient les jours de fête. Là résonnaient le bruit des verres entrechoqués et les gais refrains des convives. J’étais toujours invité aux danses qui suivaient le repas et se prolongeaient bien avant dans la nuit. J’ouvrais ordinairement le bal avec la plus jolie villageoise, par une danse semblable à celle qu’autrefois, dans la Crête, Dédale inventa pour l’aimable Ariane. Depuis, je fus à même d’étudier la vie intime d’Hommes placés à l’autre extrémité de l’échelle sociale, et, en comparant leur sort à celui de ces montagnards, il me parut que ces derniers étaient plus près du bonheur que ceux que l’on regarde comme les heureux du siècle ; mais je tirai en même temps cette conclusion sur l’Homme en général : c’est qu’il ne peut être heureux qu’à la condition d’être ignorant. Triste alternative, qui le met sans doute au-dessous de tous les autres Animaux, et à laquelle l’Ours échappe complètement par la simplicité de ses mœurs et de son caractère.

Cette vie pastorale dura six mois, pendant lesquels je suivis l’exemple d’Apollon dépouillé de ses rayons et gardant les troupeaux du roi Admète. Un jour, que j’étais assis, selon ma coutume, à l’ombre de mon arbre, une