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PEINES DE CŒUR

faisaient les Animaux. Il me vit un soir lapant du lait dans une tasse, et fit compliment à la vieille fille de la manière dont j’étais élevée, en me voyant lécher premièrement les bords de l’assiette, et allant toujours en tournant et diminuant le cercle du lait.

— Voyez, dit-il, comme dans une sainte compagnie tout se perfectionne : Beauty a le sentiment de l’éternité, car elle décrit le cercle qui en est l’emblème, tout en lapant son lait.

La conscience m’oblige à dire que l’aversion des chattes pour mouiller leurs poils était la seule cause de ma façon de boire dans cette assiette ; mais nous serons toujours mal jugés par les savants, qui se préoccupent beaucoup plus de montrer leur esprit que de chercher le nôtre.

Quand les dames ou les hommes me prenaient pour passer leurs mains sur mon dos de neige et faire jaillir des étincelles de mes poils, la vieille fille disait avec orgueil : « Vous pouvez la garder sans avoir rien à craindre pour votre robe, elle est admirablement bien élevée ! » Tout le monde disait de moi que j’étais un ange : on me prodiguait les friandises et les mets les plus délicats ; mais je déclare que je m’ennuyais profondément. Je compris très-bien qu’une jeune Chatte du voisinage avait pu s’enfuir avec un Matou. Ce mot de Matou causa comme une maladie à mon âme que rien ne pouvait guérir, pas mêmes les compliments que je recevais ou plutôt que ma maîtresse se donnait à elle-même : « Beauty est tout à fait morale, c’est un petit