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D’UN CROCODILE.

« Le petit Homme prononça quelques paroles, en désignant du doigt le haut des Pyramides. Les soldats levèrent les yeux, ne virent rien, et parurent enthousiasmés. Ils marchèrent à l’ennemi avec tant d’ordre, qu’on aurait pu les croire liés ensemble, et en un clin d’œil, Arabes et Mamelouks, beys et Kiayas s’enfuirent du côté de Belbeis ou roulèrent dans les flots du Nil. Nous fîmes grande chère ce jour-là.

« Nous faisions des vœux pour le succès de nos pourvoyeurs les Francs, mais leur présence nous fut bientôt à charge. Ces Occidentaux remuant couvrirent le sol d’escouades, le Nil de djermes et de navires. Des ingénieurs, chargés d’exécuter des projets de canalisation, chassèrent les Crocodiles par des allées et venues, des sondages, des opérations géométriques, qui faisaient présager un total bouleversement du fleuve. Je quittai ma première résidence pour aller m’établir dans le Saïd, près de ruines de Thèbes et de Louqsor. Là, je vécus longtemps heureux, me promenant en maître dans les palais de Sésostris, étudiant les hiéroglyphes et n’y comprenant rien, à l’instar des savants d’Europe, dormant, mangeant, me divertissant avec des amis : j’emploie ce titre à défaut d’autres. Je ne revis les Occidentaux qu’après de longues années ; ils vinrent camper à Louqsor, avisèrent, au milieu de cinq cents colonnes gigantesques, une pierre assez maussade, et à force de cabestans, de cordes et de machines, ils l’amenèrent à bord d’un bâtiment mouillé dans le Nil. Cette pierre,