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MÉMOIRES

Lui qui perd sous les eaux les forces et la vie,
Lui qui n’a que trente deux dents !

C’est pour nous sustenter qu’il livre des batailles,
Et quand il veut tourner ses armes contre nous,
Notre dos cuirassé de solides écailles
Est impénétrable à ses coups.

Jamais il n’a servi notre chair sur ses tables
Et nous, nous dévorons ce rival odieux.
Jadis, pour conjurer nos griffes redoutables,
Il nous pria comme des dieux !


« Au commencement de la lune de Baby-el-Alouel, l’an de l’hégire 1215, autrement dit le 5 thermidor an vii, autrement dit le 24 juillet 1798, je sommeillais sur un lit de roseaux, quand je fus réveillé par un tumulte inaccoutumé. Des nuages de poussière s’élevaient autour du village d’Embabeh, et deux grandes armées s’avançaient l’une contre l’autre : d’un côté des Arabes, des Mamelouks cuirassés d’or, des Kiayas, des beys montés sur des chevaux superbes, des escadrons miroitant au soleil ; de l’autre, des soldats étrangers, en chapeaux de feutre noir à plumets rouges, en uniformes bleus, en pantalon d’un blanc sale. Le bey de l’armée franque était un petit Homme pâle et maigre, et j’eus pitié des humains en songeant qu’ils se laissaient commander par un être chétif, dont un Crocodile n’eût fait qu’une bouchée.