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D’UN LIÈVRE.

Le lendemain je vis revenir mon maître, qui ne s’était pas montré depuis vingt-quatre heures ; il était bien changé, il avait retourné son habit, et portait sur son chapeau une très-grande cocarde aux trois couleurs.

J’appris, en l’écoutant causer avec sa femme, que j’avais vu de belles choses, que tout était perdu, qu’il n’y avait plus de roi, ni de domestiques du roi, qu’on parlait déjà de s’en passer, que Charles X était sorti pour ne plus rentrer, qu’il fallait bien se garder de prononcer son nom, que la situation était embarrassante, qu’on ne savait pas comment tout cela tournerait, que pour le moment il fallait faire ses paquets et déménager au plus vite, qu’ils étaient ruinés, etc., etc.

Bon, pensai-je, quoi qu’il arrive, j’y aurai toujours gagné de ne plus demeurer dans un palais et de ne plus battre du tambour.

Hélas ! mes pauvres petits, le Lièvre propose, mais l’Homme dispose. Si jamais vous voyez une révolution, vous promit-on monts et merveilles, tremblez. Cette révolution de laquelle, en tout cas, j’étais bien innocent, ne fit qu’empirer mon triste sort. Au bout d’un mois, mon maître, de plus en plus ruiné, toujours sans place et sans pain, vit la misère approcher. La misère est pour les Hommes ce que l’hiver est pour les Lièvres quand il gèle à pierre fendre et que la terre est nue. Un jour sa femme pleurait, son enfant pleurait, nous pleurions tous : nous avions tous faim ! (Si les