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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE VIII.

La nature des travaux et des produits de la campagne veut encore qu’il convienne au cultivateur de produire lui-même les légumes, les fruits, les bestiaux, et même une partie des instrumens et des constructions qui servent à la consommation de sa maison, quoique ces productions soient d’ailleurs l’objet des travaux exclusifs de plusieurs professions.

Dans les genres d’industrie qui s’exercent en ateliers, et où le même entrepreneur donne toutes les façons à un produit, il ne peut, sans de gros capitaux, subdiviser beaucoup ses opérations. Cette subdivision réclame de plus fortes avances en salaires, en matières premières, en outils. Si dix-huit ouvriers ne fesaient que vingt épingles chacun, c’est-à-dire, trois cent soixante épingles à la fois, pesant à peine une once, une once de cuivre successivement renouvelée suffirait pour les occuper. Mais si, au moyen de la séparation des occupations, les dix-huit ouvriers font par jour, ainsi qu’on vient de le voir, quatre-vingt-six mille quatre cents épingles, la matière première nécessaire pour occuper ces dix-huit ouvriers devra être constamment du poids de deux cent quarante onces ; elle exigera par conséquent une avance plus considérable. Et si l’on considère qu’il se passe peut-être deux ou trois mois, depuis le moment où le manufacturier achète le cuivre jusqu’à celui où il rentre dans cette avance par la vente des épingles, on sentira qu’il est obligé d’avoir, pour fournir constamment de l’occupation à ses ouvriers, soixante ou quatre-vingts fois deux cent quarante onces de cuivre en fabrication à différens degrés, et que la portion de son capital, occupée par cette matière première seulement, doit être égale par conséquent à la valeur de douze cents livres pesant de métal de cuivre. Enfin, la séparation des occupations ne peut avoir lieu qu’au moyen de plusieurs instrumens et machines qui sont eux-mêmes une partie importante du capital. Aussi voit-on fréquemment, dans les pays pauvres, le même travailleur commencer et achever toutes les opérations qu’exige un même produit, faute d’un capital suffisant pour bien séparer les occupations.

Mais il ne faut pas s’imaginer que la séparation des travaux ne puisse avoir lieu qu’au moyen des capitaux d’un seul entrepreneur et dans l’enceinte d’un même établissement. Toutes les façons d’une paire de bottes ne sont pas données par le bottier seulement, mais aussi par le nourris-