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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE VIII.

incompatibles, et surtout celles qui se prêtent un appui mutuel. Ce ne sont point deux négocians différens qui transportent dans un pays les produits que ce pays consomme, et qui rapportent les produits qu’il fournit, parce que l’une de ces opérations n’exclut pas l’autre, et qu’elles peuvent, au contraire, être exécutées en se prêtant un appui mutuel.

La séparation des travaux, en multipliant les produits relativement aux frais de production, les procure à meilleur marché. Le producteur, obligé par la concurrence d’en baisser le prix de tout le montant de l’économie qui en résulte, en profite beaucoup moins que le consommateur ; et lorsque le consommateur met obstacle à cette division, c’est à lui-même qu’il porte préjudice.

Un tailleur qui voudrait faire non-seulement ses habits, mais encore ses souliers, se ruinerait infailliblement.

On voit des personnes qui font, pour ce qui les regarde, les fonctions du commerçant, afin d’éviter de lui payer les profits ordinaires de son industrie ; elles veulent, disent-elles, mettre ce bénéfice dans leur poche. Elles calculent mal : la séparation des travaux permet au commerçant d’exécuter pour elles ce travail à moins de frais qu’elles ne peuvent le faire elles-mêmes. Comptez, leur dirais-je, la peine que vous avez prise, le temps que vous avez perdu, les faux frais, toujours plus considérables à proportion dans les petites opérations que dans les grandes ; et voyez si ce que tout cela vous coûte n’excède pas deux ou trois pour cent que vous épargnerez sur un chétif objet de consommation, en supposant encore que ce bénéfice ne vous ait pas été ravi par la cupidité de l’agriculteur ou du manufacturier avec qui vous avez traité directement, et qui ont dû se prévaloir de votre inexpérience.

Il ne convient pas même à l’agriculteur et au manufacturier, si ce n’est dans des circonstances très-particulières, d’aller sur les brisées du commerçant, et de chercher à vendre sans intermédiaire leurs denrées au consommateur. Ils se détourneraient de leurs soins accoutumés, et perdraient un temps qu’ils peuvent employer plus utilement à leur affaire principale ; il faudrait entretenir des gens, des chevaux, des voitures dont les frais surpasseraient les bénéfices du négociant, communément très-réduits par la concurrence.

On ne peut jouir des avantages attachés à la subdivision des travaux que dans certains produits, et lorsque la consommation des produits s’étend au-delà d’un certain point.

Dix ouvriers peuvent fabriquer quarante-huit mille épingles dans un