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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

turaliste sépare néanmoins en différentes classes pour avoir plus de facilité à les décrire.

L’erreur fondamentale où sont tombés les économistes, et que je montre avoir été partagée même par leurs antagonistes, les a conduits à d’étranges conséquences. Selon eux, les manufacturiers et les négocians, ne pouvant rien ajouter à la masse commune des richesses, ne vivent qu’aux dépens de ceux qui seuls produisent, c’est-à-dire, des propriétaires et des cultivateurs des terres ; s’ils ajoutent quelque valeur aux choses, ce n’est qu’en consommant une valeur équivalente qui provient des véritables producteurs ; les nations manufacturières et commerçantes ne vivent que du salaire que leur paient les nations agricoles ; ils donnent pour preuve que Colbert ruina la France parce qu’il protégea les manufactures, etc.

Le fait est que, quelle que soit l’industrie qu’on exerce, on vit des profits qu’on fait en vertu de la valeur ou portion de valeur, quelle qu’elle soit, qu’on donne à des produits. La valeur tout entière des produits sert de cette manière à payer les gains des producteurs. Ce n’est pas le produit net seulement qui satisfait aux besoins des hommes ; c’est le produit brut, la totalité des valeurs créées[1].

Une nation, une classe d’une nation, qui exercent l’industrie manufacturière, ou commerciale, ne sont ni plus ni moins salariées que d’autres qui exercent l’industrie agricole. Les valeurs créées par les unes ne sont pas d’une autre nature que les valeurs créées par les autres. Deux valeurs égales se valent l’une l’autre, quoiqu’elles proviennent de deux industries différentes ; et quand la Pologne change sa principale production, qui est du blé, contre la principale production de la Hollande, qui se compose de marchandises des Deux-Indes, ce n’est pas plus la Pologne qui salarie la Hollande que ce n’est la Hollande qui salarie la Pologne.

Cette Pologne, qui exporte pour 10 millions de blé par an, fait précisé-

  1. On a objecté ici que ce sont les produits eux-mêmes et non leur valeur, qualité abstraite, qui satisfont aux besoins des hommes. Cela va sans dire ; mais l’auteur devait mettre ici la valeur, parce qu’il suffit que la valeur soit produite pour que l’échange procure le produit qui doit être consommé. Ce n’est pas le blé qui est venu sur ma terre que je consomme ; c’est sa valeur. Mon fermier l’a troqué contre de l’argent ; il m’a apporté cet argent, que j’ai ensuite troqué contre les objets qui m’étaient nécessaires ; ce n’était donc pas le blé qui a été produit qui a satisfait à mes besoins.