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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE II.

on donne bien réellement valeur égale pour valeur égale : l’argent qu’on paie et le vin qu’on reçoit valent autant l’un que l’autre ; mais le vin ne valait pas autant avant d’être parti d’Alicante ; sa valeur s’est véritablement accrue entre les mains du commerçant, par le transport, et non pas au moment de l’échange ; le vendeur ne fait point un métier de fripon, ni l’acheteur un rôle de dupe, et Condillac n’est point fondé à dire que si l’on échangeait toujours valeur égale pour valeur égale, il n’y aurait point de gain à faire pour les contractans[1].

Dans certains cas, les autres industries produisent d’une façon analogue à celle du commerce, en donnant une valeur à des choses auxquelles elles n’ajoutent absolument aucune qualité nouvelle que celle de les approcher du consommateur. Telle est l’industrie du mineur. Le métal et la houille existent dans la terre aussi complets qu’ils peuvent l’être, et ils y sont sans valeur. Le mineur les en tire, et cette opération, les rendant propres à l’usage, leur donne une valeur. Il en est ainsi du hareng : dans la mer, hors de l’eau, c’est le même poisson ; mais sous cette dernière forme il a acquis une utilité, une valeur qu’il n’avait pas[2].

Les exemples pourraient se multiplier à l’infini, et tous se fondraient par nuances les uns dans les autres, comme les êtres naturels que le na-

  1. Le Commerce et le Gouvernement considérés relativement l’un et l’autre, Ire partie, chap. 6.
  2. On peut considérer comme exerçant des industries du même genre, celui qui laboure les terres, celui qui élève des bestiaux, celui qui abat des arbres, et même celui qui pêche des poissons qu’il n’a point fait naitre, ou qui puise dans les entrailles de la terre les métaux, les pierres, les combustibles que la seule nature y a déposés ; et, pour ne pas multiplier les dénominations, on désigne toutes ces occupations par le nom d’industrie agricole, parce que la culture des champs est la plus importante de toutes. Les mots sont de peu d’importance, une fois que les idées sont bien comprises. Le vigneron qui presse son raisin, fait une opération mécanique, qui tient de plus près aux arts manufacturiers qu’aux arts agricoles. Qu’on le nomme manufacturier ou agriculteur, peu importe, pourvu que l’on conçoive de quelle façon son industrie ajoute à la valeur d’un produit. Il y a, si l’on veut, une multitude d’industries, en considérant toutes les manières possibles de donner de la valeur aux choses ; et, en généralisant tout-à-fait, il n’y en a qu’une seule, puisque toutes se réduisent à se servir des matières et des agens fournis par la nature, pour en composer des produits susceptibles d’être consommés.