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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE II.

pourvus, avec quelque abondance, des choses qui leur sont nécessaires, et de cette multitude d’autres objets dont l’usage, sans être d’une nécessité indispensable, marque cependant la différence d’une société civilisée à une horde de sauvages. La nature, abandonnée à elle-même, ne fournirait qu’imparfaitement à l’existence d’un petit nombre d’hommes. On a vu des pays fertiles, mais déserts, ne pouvoir nourrir quelques infortunés que la tempête y avait jetés par hasard ; tandis que, grâce à l’industrie, on voit en beaucoup d’endroits une nombreuse population subsister à l’aise sur le sol le plus ingrat.

On donne le nom de produits aux choses que l’industrie a su créer. Leurs auteurs deviennent par là possesseurs d’une nouvelle portion de richesses dont ils peuvent jouir, soit immédiatement, soit après l’avoir échangée contre tout autre objet de valeur équivalente.

Il est rare qu’un produit soit le résultat d’un seul genre d’industrie. Une table est un produit de l’industrie agricole qui a abattu l’arbre dont elle est faite, et de l’industrie manufacturière qui l’a façonnée. Le café est pour l’Europe un produit de l’agriculture qui a planté et recueilli cette graine en Arabie ou ailleurs, et de l’industrie commerciale qui la met entre les mains du consommateur.

Ces trois sortes d’industrie, qu’on peut, si l’on veut, diviser en une foule de ramifications, concourent à la production exactement de la même manière. Toutes donnent une utilité à ce qui n’en avait point, ou accroissent celle qu’une chose avait déjà. Le laboureur, en semant un grain de blé, en fait germer vingt autres ; il ne les tire pas du néant : il se sert d’un outil puissant qui est la terre, et il dirige une opération par laquelle différentes substances, auparavant répandues dans le sol, dans l’eau, dans l’air, se changent en grains de blé.

La noix de galle, le sulfate de fer, la gomme arabique, sont des substances répandues dans la nature ; l’industrie du négociant, du manufacturier, les réunit, et leur mélange donne cette liqueur noire qui fixe nos pensées sur le papier. Ces opérations du négociant, du manufacturier, sont analogues à celles du cultivateur, et celui-ci se propose un but et emploie des moyens du même genre que les deux autres.

Personne n’a le don de créer de la matière ; la nature même ne le peut pas. Mais tout homme peut se servir des agens que lui offre la nature pour donner de l’utilité aux choses, et même toute industrie ne consiste que dans l’usage qu’on fait des agens fournis par la nature ; le produit du travail le plus parfait, celui dont presque toute la valeur est en