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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE XI.

comme à un bon, est précisément aussi dangereux pour une nation qu’il peut lui être utile. Voyez l’Angleterre, où cette raison, dans bien des cas, a contraint une foule de gens très-honnêtes à soutenir une administration très-perverse, et un régime rempli d’abus[1].

On a dit que la dette publique fixait l’état de l’opinion sur la confiance que mérite le gouvernement, et que dès-lors le gouvernement, jaloux de maintenir un crédit dont elle montre le degré, était plus intéressé à se bien conduire. Il convient de faire ici une distinction. Se bien conduire pour les créanciers de l’état, c’est payer exactement les arrérages de la dette ; se bien conduire pour le contribuable, c’est dépenser peu. Le prix courant des rentes offre à la vérité un gage de la première manière de se bien conduire, mais nullement de la seconde. Il ne serait peut-être pas même extravagant de dire que l’exact paiement de la dette, loin d’être une garantie de bonne administration, y supplée en beaucoup de cas.

On a dit en faveur de la dette publique qu’elle offrait aux capitalistes qui ne trouvent point d’emploi avantageux de leurs fonds, un placement qui les empêche de les envoyer au dehors. Tant pis. C’est une amorce qui attire les capitaux vers leur destruction, et grève la nation de l’intérêt que le gouvernement en paie : il vaudrait bien mieux que ce capital eût été prêté à l’étranger ; il en reviendrait tôt ou tard, et, en attendant, ce serait l’étranger qui paierait les intérêts.

Des emprunts publics modérés, et dont les capitaux seraient employés par le gouvernement en établissemens utiles, auraient cet avantage d’offrir un emploi à de petits capitaux situés entre des mains peu industrieuses et qui, si on ne leur ouvrait pas ce facile placement, languiraient dans des coffres, ou se dépenseraient en détail. C’est peut-être sous ce seul point de vue que les emprunts publics peuvent produire quelque bien ; mais ce bien même est un danger, s’il est pour les gouvernemens une occasion de dissiper les épargnes des nations. Car à moins que le principal n’ait été dépensé d’une manière constamment utile au public, comme en routes, en facilités pour la navigation, etc., il valait mieux pour le public que ce capital restât enfoui : alors du moins si le public perdait pour un temps l’usage du fonds, il n’en payait pas les intérêts.

  1. On peut voir dans les écrits de Jérémie Bentham à quel point est porté l’abus des frais de procédure, des sinécures, le fardeau qu’impose à la nation le clergé de l’église dominante, et bien d’autres abus qui malheureusement ne peuvent être corrigés par des moyens légaux, puisque la majorité de la législature est nommée sous l’influence des classes privilégiées elles-mêmes qui en profitent.