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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE X.

ment. Qu’est-il arrivé ? C’est qu’on a pris à l’un le quart de son revenu qui se montait à 4,000 francs, et à l’autre le dixième seulement du sien qui se montait à 10,000 francs[1].

Chacun en particulier n’a pour revenu que le profit net qu’il a fait après que son capital, tel qu’il était, s’est trouvé rétabli. Un marchand a-t-il pour revenu le montant de toutes les ventes qu’il fait dans une année ? Non, certes : il n’a de revenu que l’excédant de ses rentrées sur ses avances, et c’est sur cet excédant seul qu’il peut payer l’impôt sans se ruiner.

La difficulté, les frais et les abus de la perception de l’impôt en nature, sont un nouvel obstacle à son établissement. Que d’agens à employer ! Que de dilapidations à craindre ! Le gouvernement peut être trompé sur le montant de la contribution, trompé dans la conversion en argent qu’il en faut faire, trompé sur les denrées avariées, sur les frais d’emmagasinement, de conservation, de transport. Si l’impôt est affermé, que de fermiers, que de traitans dont les profits sont faits sur le public ! Les poursuites seules qu’il faudrait diriger contre les fermiers de l’impôt, exigeraient une administration étendue. « Un riche propriétaire, dit Smith, qui passerait sa vie dans la capitale, et qui toucherait en nature, dans diverses provinces éloignées, le prix de ses fermages, risquerait de perdre la plus grande partie de ses revenus. Et cependant les agens du plus négligent de tous les propriétaires, ne sauraient dilapider autant que ceux du plus vigilant des princes[2]. »

On a fait valoir encore d’autres considérations contre l’impôt en nature ; mais il serait peut-être inutile et sans doute fastidieux de les reproduire toutes. Qu’on me permette seulement de faire remarquer quel serait, sur les prix, l’effet de cette masse de denrées mises en vente par les préposés du fisc, qui, comme on sait, est aussi mauvais vendeur qu’il est mauvais acheteur. La nécessité de vider les magasins pour faire place à de nouvelles contributions ou pour subvenir aux besoins impérieux d’un trésor public, ferait vendre les denrées au-dessous du taux, où le fermage des terres, le salaire des ouvriers, et l’intérêt des fonds employés par l’agriculture, devraient naturellement fixer leur prix ; concurrence impossible à soutenir. Un tel impôt, non-seulement ôte aux cultivateurs une por-

  1. Ricardo s’est mépris sur le sens de ce passage, en attribuant au fermier le calcul que je prête au propriétaire.
  2. Richesse des Nations, liv. V, chap. 2.