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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

république, l’application des sciences aux opérations militaires, les ennemis des français se sont vus dans la nécessité de s’approprier les mêmes avantages.

Tous ces progrès, ce déploiement de moyens, cette consommation de ressources, ont rendu la guerre bien plus dispendieuse qu’elle ne l’était autrefois. Il a fallu pourvoir d’avance les armées, d’armes, de munitions de guerre et de bouche, d’attirails de toute espèce. L’invention de la poudre à canon a rendu les armes bien plus compliquées et plus coûteuses, et leur transport, surtout celui des canons et des mortiers, plus difficile. Enfin les étonnans progrès de la tactique navale, ce nombre de vaisseaux de tous les rangs, pour chacun desquels il a fallu mettre en jeu toutes les ressources de l’industrie humaine ; les chantiers, les bassins, les usines, les magasins, etc., ont forcé les nations qui font la guerre, non-seulement à faire pendant la paix à peu près la même consommation que pendant les hostilités, non-seulement à y dépenser une partie de leur revenu, mais à y placer une portion considérable de leurs capitaux.

On peut ajouter à ces considérations que le système colonial des modernes, j’entends ce système qui tend à vouloir conserver le gouvernement d’une ville ou d’une province situées sous un autre climat, a rendu les états européens attaquables et vulnérables jusqu’aux extrémités de la terre ; tellement qu’une guerre entre deux grandes puissances, a maintenant pour champ de bataille le globe entier[1].

Il en est résulté que la richesse est devenue aussi indispensable pour faire la guerre que la bravoure, et qu’une nation pauvre ne peut plus résister à une nation riche. Or comme la richesse ne s’acquiert que par l’industrie et l’épargne, on peut prévoir que toute nation qui ruinera, par de mauvaises lois ou par des impôts trop pesans, son agriculture, ses manufactures et son commerce, sera nécessairement dominée par d’autres nations plus prévoyantes. Il en résulte aussi que la force sera probablement à l’avenir du côté de la civilisation et des lumières ; car les nations civilisées sont les seules qui puissent avoir assez de produits pour entretenir des forces militaires imposantes ; ce qui éloigne pour l’avenir la probabilité de ces grands bouleversemens dont l’histoire est pleine, et où les peuples civilisés sont devenus victimes des peuples barbares.

  1. On a calculé en Angleterre que chacun des combattans que l’état entretient en Amérique, lui coûte le double de ce que coûterait le même soldat en Europe. La même proportion se retrouve dans toutes les dépenses d’une expédition lointaine.