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PRÉLIMINAIRE.

public insouciant aime mieux les croire sur parole que de se mettre en état de les juger. Quelquefois on lui présente un appareil de chiffres, et cela lui impose, comme si les nombres seuls prouvaient quelque chose, comme si tout ne dépendait pas du choix des données et des conclusions qu’on en peut tirer ! Lorsqu’une fois un auteur a manifesté une opinion, la vanité, la plus universelle des infirmités humaines, veut qu’il la soutienne. L’intérêt personnel se joint quelquefois à l’amour-propre ; et l’on sait quelle influence il exerce, même à notre insu, sur nos opinions. De là les doctrines hasardées qu’on voit naître chaque jour et les objections qu’on reproduit après qu’elles ont été cent fois réfutées.

Bien des personnes, dont l’esprit n’a jamais entrevu un meilleur état social, affirment qu’il ne peut exister ; elles conviennent des maux de l’ordre établi, et s’en consolent en disant qu’il n’est pas possible que les choses soient autrement. Cela rappelle cet empereur du Japon qui pensa étouffer de rire lorsqu’on lui dit que les hollandais n’avaient point de roi. Quoique plusieurs nations de l’Europe soient dans une situation assez florissante en apparence, et qu’il y en ait qui dépensent 14 à 1500 millions par an pour payer leur gouvernement seulement, il ne faut cependant pas se persuader que leur situation ne laisse rien à désirer. Un riche sybarite habitant à son choix son palais de ville ou son palais de campagne, goûtant à grands frais, dans l’un comme dans l’autre, toutes les recherches de la sensualité, se transportant commodément et avec vitesse partout où l’appellent de nouveaux plaisirs, disposant des bras et des talens d’un nombre infini de serviteurs et de complaisans, et crevant dix chevaux pour satisfaire une fantaisie, peut trouver que les choses vont assez bien et que l’économie politique est portée à sa perfection. Mais dans les pays que nous nommons florissans, combien compterez-vous de personnes en état