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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE III.

bricant, en achetant les services de l’ouvrier et en les consommant, consomme reproductivement et sans satisfaire à aucun besoin, une portion de son capital. De son côté l’ouvrier, en vendant ses services, vend son revenu d’un jour, d’une semaine ; et c’est le prix qu’il en retire qui se trouve consommé improductivement par lui et par sa famille ; de la même manière que le loyer de la maison qu’occupe le fabricant, et qui forme le revenu du propriétaire, est dépensé improductivement par celui-ci.

Et qu’on ne s’imagine pas que c’est la même valeur qui est consommée deux fois, l’une reproductivement, l’autre improductivement : ce sont deux valeurs indépendantes l’une de l’autre et dont l’origine est diverse. L’une des deux, le service industriel de l’ouvrier, est le produit de sa force musculaire de son talent ; ce service est si bien un produit, qu’il a un prix courant comme toutes les autres denrées. L’autre valeur consommée est une portion du capital du fabricant, qu’il a donnée en échange du service de l’ouvrier. Une fois l’échange de ces deux valeurs terminé, les deux consommations s’opèrent chacune de leur côté et dans deux buts différens : la première, dans le but de créer un produit ; la seconde, dans celui d’alimenter l’ouvrier et sa famille.

Ce que le fabricant dépense et consomme reproductivement, c’est ce qu’il a acquis au moyen de son capital ; ce que l’ouvrier dépense et consomme improductivement, c’est ce qu’il a obtenu en échange de ses peines. De ce que ces deux valeurs s’échangent l’une contre l’autre, il ne s’ensuit pas qu’elles forment une seule et même valeur.

Le même raisonnement s’applique au travail intelligent de l’entrepreneur. Son temps, son travail, sont consommés reproductivement par lui dans sa manufacture ; et les profits qu’il en tire en échange, sont consommés improductivement par lui dans sa famille.

Cette double consommation, au reste, est analogue à celle que les entrepreneurs font de leurs matières premières. Un fabricant de drap se présente chez un marchand de laine avec une somme de mille écus à la main. Ne voilà-t-il pas deux produits en présence : une valeur de mille écus, fruit d’une production antérieure, fesant maintenant partie du capital du fabricant, et, d’un autre côté, des toisons fesant partie du produit annuel d’une ferme ? L’échange une fois conclu, ces deux valeurs se consomment chacune de leur côté ; le capital, changé en toisons, pour faire du drap ; le produit de la ferme, changé en écus, pour satisfaire les besoins du fermier ou de son propriétaire.

Toute consommation étant une perte, lorsqu’on fait une consommation