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LIVRE SECOND. — CHAPITRE XI.

les individus, et n’accorder sa protection qu’à l’espèce. L’histoire naturelle présente des exemples très-curieux des soins qu’elle prend pour la conversation des espèces ; mais le moyen le plus puissant qu’elle emploie pour y parvenir consiste à multiplier les germes avec une profusion telle, que, quelque nombreux que soient les accidens qui les empêchent d’éclore, ou qui les détruisent étant éclos, il en subsiste toujours un nombre plus que suffisant pour que l’espèce se perpétue. Et si les accidens, les destructions, le défaut des moyens de développement, n’arrêtaient pas la multiplication des êtres organisés, il n’est pas un animal, pas une plante qui ne parvînt en peu d’années à couvrir la face du globe.

L’homme partage avec tous les autres êtres organisés cette faculté ; et, quoique son intelligence supérieure multiplie pour lui les moyens d’exister, il finit toujours, comme les autres, par en atteindre la limite.

Les moyens d’exister pour les animaux sont presque uniquement les subsistances ; pour l’homme la faculté qu’il a d’échanger les produits les uns contre les autres, lui permet d’en considérer, non pas tant la nature que la valeur. Le producteur d’un meuble de cent francs est possesseur de tous les alimens qu’on peut avoir pour ce prix-là. Et quant aux prix des deux produits (c’est-à-dire à la quantité de l’un et de l’autre qu’on donne en échange), il dépend de l’utilité du produit dans l’état actuel de la société. On ne peut pas supposer que les hommes en général consentent à donner, troc pour troc, ce qui leur est plus nécessaire pour avoir ce qui l’est moins. Dans la disette, on donnera une moins grande quantité de subsistances pour le même meuble ; mais toujours restera-t-il vrai que le meuble vaut la denrée, et qu’avec l’un on pourra obtenir l’autre.

Cette faculté de pouvoir faire des échanges n’est pas bornée aux hommes du même lieu, ni même d’un seul pays. La Hollande se procure du blé avec ses épiceries et ses toiles. L’Amérique septentrionale obtient du sucre et du café en échange des maisons de bois qu’elle envoie toutes faites aux Antilles. Il n’y a pas jusqu’aux produits immatériels, qui, bien qu’ils ne soient pas transportables, procurent à une nation des denrées alimentaires. L’argent payé par un étranger pour voir un artiste éminent, ou pour consulter un praticien célèbre, peut être renvoyé à l’étranger pour y acheter des denrées plus substantielles[1].

  1. Quoique tous les produits soient nécessaires à l’existence sociale de l’homme, le besoin de nourriture étant le plus impérieux de tous, le plus constant et celui qui se renouvelle le plus promptement, on n’en doit pas moins au premier rang des moyens d’existence les substances alimentaires. Mais les substances alimentaires ne sont pas toutes des produits du sol ; on se les procure par le commence aussi bien que par l’agriculture, et il y a plusieurs contrées qui nourrissent bien plus d’habitans que n’en peuvent alimenter les produits de leurs terres.