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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

n’aiment pas à les perdre de vue et à se trouver hors de portée d’en surveiller l’emploi.

Ce n’est pas tout : un capital ne rapporte un profit que lorsqu’il est mis en œuvre par le talent ; et quoique le talent et la conduite aient la principale part au profit qui résulte de leur travail commun, on ne saurait nier que ce profit est fort augmenté par l’augmentation du capital dont le talent dispose[1]. Or, si un capital rapporte plus ou moins selon qu’on le fait valoir avec plus ou moins d’intelligence, les endroits où les affaires sont considérables et les capacités industrielles rares, offriront aux capitaux qui s’y présenteront soutenus par des talens, des profits supérieurs à ceux que gagneront les capitaux privés de cet avantage. Un outil conduit par une main habile, indépendamment de ce que gagne l’habileté qui le dirige, fait plus de profit qu’un outil que fatigue vainement une main incapable. Un instrument de musique produit peu d’effet s’il est mal touché, et ne rend aucun son quand on le laisse entièrement oisif. Des capitaux qui se trouvent dans le même cas, n’entrent point en concurrence avec ceux qui se trouvent en de meilleures mains. Avant l’émancipation de l’Amérique espagnole et portugaise, Cadix et Lisbonne avaient à peu près

  1. C’est le fondement sur lequel Smith, et après lui la plupart des économistes anglais, prétendent que le profit est en raison du capital d’une entreprise et non de l’industrie de son entrepreneur. Smith suppose (liv. I, ch. 6) deux manufactures établies dans un même endroit où la concurrence de plusieurs arts a borné les profits qu’on fait dans les manufactures en général, à dix pour cent du capital qu’on y emploie. Si l’une de ces manufactures s’exerce sur des matières de peu de valeur, elle pourra marcher avec un capital de 1,000 livres sterling, et rapportera à son entrepreneur 100 livres sterling par an ; tandis que l’autre manufacture qui, avec le même nombre d’ouvriers, travaille des matières plus chères, et requiert en conséquence un capital de 7,500 livres sterling, rapportera 750 livres sterling. Il en conclut que le profit est en raison du capital, et non en raison de l’industrie de l’entrepreneur. Ces hypothèses ne suffisent pas pour fonder le principe ; car je peux supposer avec autant de raison, pour le moins, deux manufactures dans un même endroit, travaillant un produit semblable, avec chacune 1,000 livres sterling de capital, mais conduites, l’une par un entrepreneur rempli d’intelligence, d’activité, d’économie, qui gagnera 150 livres sterling par an ; et l’autre, conduite par un homme incapable et négligent, qui n’en gagnera que 50. La différence des profits, dans ce cas, ne viendra pas de la différence des capitaux qui seront pareils, mais bien de la différence des capacités industrielles. Voyez, au chapitre 5 de ce livre, une note sur le même sujet.